Joachim Pheonix, Robert Duvall, Mark Wahlberg, Eva Mendes
L’échelle de Richter existe au cinéma et ses beauforts sont des étoiles.
** pour « American gangster » de Ridley Scott, *** pour « Eastern promises » de David Cronenberg et **** pour ce magnifique « We own the night », allusion à la devise peinte sur les flans des voitures de la police new yorkaise et dont la traduction hésite entre l’énergie d’un « La nuit nous appartient » ou la fatalité d’un « Nous appartenons à la nuit ».
Ces 3 films, sortis, en moins de quinze jours, dans une foulée de qualité ascensionnelle, ont au moins deux points communs.
Leur cartographie scénaristique est une plongée sans illusion dans le milieu de la criminalité urbaine - New York pour Scott et Gray, Londres pour Cronenberg - tissée par des maffieux russes pour les deux dernières œuvres citées.
Leur intention - une réflexion sur la violence - est articulée autour de voyous charismatiques qui séduisent et effrayent, de la drogue et de l’argent facile qu’elle permet de gagner.
Gray apporte quelque chose de particulier et d’unique qui, transcendant le naturalisme social de Scott et la visuelle splendeur de Cronenberg, cogne aux portes de l’universel combat entre le Bien et le Mal.
On connaît la maestria avec laquelle il emprunte à la tragédie antique (*) pour décrire un monde moderne, à la fois perverti et en demande de rédemption, à la fois maudit et en recherche de lumière.
Deux frères, l’un policier, l’autre gérant de boîte de nuit sont les pivots d’un affrontement qui remonte à l’enfance autour de l’image d’un père vécu par l’un comme un exemple à suivre et par l’autre comme un exemple à fuir.
La découverte d’un trafic de stupéfiants dans l’établissement de Bobby (un prodigieux Joachim Phoenix dont le talent se densifie de film en film) l’oblige à choisir son camp (son clan ?) : la probité et sa famille de sang ou la délinquance et sa famille d’élection.
Conflit intime qui secoue le passé et fragilise le présent et auquel Gray va accorder une attention serrée. Ne quittant pas ses personnages d’une semelle dans l’expression de leur mal-être, de leurs contradictions, de leurs prisons intérieures, il fouille les émotions. Avec poigne et douleur.
Il sait, comme le génial faiseur de polars noirs Mankell, qu’il y a quelque chose de faisandé dans la société actuelle. Une fissure malandrée dans laquelle s’infiltre une férocité qui corrode les âmes pour les perdre dans les rouges et ors d’une vie apparemment cool.
Il est impensable de ne pas évoquer, comme piliers de soutènement admiratif pour « We own… » les prestations extraordinaires d’Eva Mendès et de Robert Duvall. Dont la puissance de jeu donne l’impression de découvrir, pour la première fois à l’écran, les difficultés d’un père à être à la fois tendre et exigeant.
« We own… » est un film rare. Immense et poignant. A ne rater sous aucun prétexte, et à ranger, lorsqu’il sortira en DVD, entre un roman de Faulkner, des photos de Wegee et le « To live and die in L.A. » de William Friedkin. (m.c.a)
(*) « The yards » et ses thèmes eschyliens - inceste, trahison, vengeance, obsession pour la dégénérescence des liens familiaux, le sentiment de la perte ….