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VICTORIA

Sebastian Schipper

Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski, Burak Yiğit et Max Mauff

140 min.
1er juillet 2015
VICTORIA

Déjanté et rythmé, drôle et tragique, Victoria fut sans nul doute le plus berlinois des films en compétition à la 65ème Berlinale.Rien d’étonnant donc à ce que ce film de 140 minutes réalisé par le jeune Sebastian Schipper (connu en tant qu’acteur dans Cours, Lola, cours ) ait remporté la totale adhésion du public [1] en février et qu’il ait décroché six Lolas [2] tout récemment. Par contre, si le film a de quoi étonner, c’est bien par la prouesse technique et le défi expérimental que son cinéaste s’est imposés : tourné au cœur même de la capitale allemande dans 22 endroits un dimanche matin, Victoria a été réalisé en un seul plan séquence en se basant sur un scénario qui ne tient qu’en une petite douzaine de pages. « La contrainte, la peur, l’adrénaline et l’euphorie de l’obligation d’un choix sans retour étaient notre moteur », confie Sebastian Schipper.

 

L’histoire tient à un fil mais les glissements opérés dans la dramaturgie du film démontrent toute l’adresse de son réalisateur. Victoria met en scène une jeune femme originaire de Madrid, nommée Victoria (Laia Costa), qui, au sortir d’une boîte de nuit, rencontre quatre garçons qui se présentent comme Sonne (Frederick Lau), Boxer (Franz Rogowski), Blinker (Burak Yiğit) et Fuß (Max Mauff). Ils se mettent à discuter, à blaguer et à rigoler. Très vite, la jeune madrilène se prend de sympathie pour Sonne et accepte de les suivre pour boire un dernier verre. Commence alors une longue déambulation à travers les rues de la capitale allemande (le vrai Berlin diront avec fierté ses protagonistes – la ville qui incarne l’ici et le maintenant, la fureur de vivre , selon Sebastian Schipper) mais cette rencontre insolite va toutefois mener Victoria dans une folle épopée où l’exaltation flirtera avec le danger.

 

La première scène du film où l’on découvre Victoria, éblouie par les stroboscopes d’une boîte de nuit et s’abandonnant totalement à la fièvre de la danse sur une musique techno incandescente, séduit d’emblée et entraîne instantanément le spectateur dans un walk movie  énergique et hyper-cinétique.

 

En suivant une structure narrative où les ellipses sont inexistantes, le film frappe par son rythme extrêmement soutenu et donne l’immédiate impression au spectateur d’accompagner en temps réel cette bande de gentils bad boys . Les dialogues, pour la plupart improvisés et principalement exprimés dans l’anglais le plus élémentaire, s’enchaînent avec une naturelle rapidité et une spontanéité hors du commun, ce qui confère à tous les personnages une extraordinaire vérité.

 

Drôle et touchant, Victoria fait la part belle à une jeunesse qui vit constamment sur le fil du rasoir et oscille entre les points cardinaux de l’extrême : écartelés entre la recherche de sensations extatiques et le souhait de mener une vie libérée, partagés entre la désillusion, l’ennui et l’espoir, tous se dispersent sur le plan émotionnel autant qu’ils se cherchent et se perdent dans les actes qu’ils posent. Citant Aldous Huxley, le réalisateur allemand résume d’ailleurs en une seule phrase ce que nous dit Victoria : « mais je ne veux pas du confort, je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté, je veux du péché . »

 

Par ses décors et son côté erratique, Victoria pourrait rappeler conceptuellement Oh Boy  (l’esthétique et la mélancolie en moins), et l’on notera d’ailleurs au passage que la très brève incursion du personnage de Frederick Lau dans Oh Boy est d’une étonnante proximité avec celui de Sonne dans Victoria . Mais si le tempo techno de Victoria suit une cadence frénétique et recèle un quelque chose qui s’approche du « trash sublime », Sebastian Schipper orchestre aussi, à la façon d’un virtuose, ses points de suspension dramatiques.

 

(Christie Huysmans) 


[1] Dans le cadre de la 65ème Berlinale, Victoria a obtenu le Prix du Meilleur Film par les lecteurs du Berliner Morgenpost et été également élu meilleur film par la Guild of German Art House Cinemas et l’un de ses cameramen, Sturla Brandth Grovlen, a obtenu le prix de la meilleure caméra.

[2] Les Lolas sont l’équivalent des Oscars allemands. Victoria a remporté les prix suivants : Meilleur film, Meilleur Réalisateur (Sebastian Schipper), Meilleure Actrice (Laia Costa), Meilleur Acteur (Frederick Lau), Meilleur caméra (Sturga Brandth Grovlen), Meilleur Musique (Nils Frahm).