A méditer
1étoile(s) 1étoile(s) 1étoile(s) 1étoile(s) 1étoile(s)

VENUS NOIRE

Abdellatif Kechiche (France 2010)

Yahima Torres, Elina Löwensohn, Olivier Gourmet, François Marthouret

159 min.
2 novembre 2010
VENUS NOIRE

S’il fallait ajouter aux 7 péchés capitaux une nouvelle offense, « Venus noire » en offrirait l’opportunité.

Et le substantif : humiliation.

Celle d’une jeune Sud-Africaine (*) remarquée pour ses attributs callipyges et exportée au début du XIX en Europe pour y être exhibée devant un public gourmand de « monstruosités » et ce 70 ans avant les Freaks du cirque Barnum.

Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans le regard que pose Kechiche sur Saartjie Bartman qui ne retrouvera sa terre natale qu’en 2002.

 

Le corps découpé, formolisé, amputé de son intimité par une équipe de scientifiques persuadés de se trouver devant le chaînon manquant entre l’homme et le singe.

Quant au coeur on n’ose imaginer le nombre d’ignominies sous lesquelles il a cédé avant de faire de sa propriétaire une prostituée misérable et alcoolique à laquelle même la mort n’apportera pas le repos. Celle-ci sonnant l’hallali pour des savants avides de s’emparer de cette femme hors-norme, sorte d’ET de l’époque, pour conforter leurs préjugés racistes.

Profondément dérangeant disions-nous, parce que autant on comprend et partage l’intention du réalisateur de dénoncer le colonialisme, l’exploitation des êtres humains, l’arrogante suffisance des « blancs », autant on est perplexe et troublé par ses partis pris de mise en scène.

Faisant de nous d’inutiles voyeurs de séquences libertines (obscènes ?) longues, répétitives et nous rendant en cas d’acceptation inerte de ces excès visuels, complices malgré les 200 ans d’écart de ceux dont le cinéaste scrute le regard de désobligeante curiosité.

 

Le cinéma de dénonciation, s’il cède à la tentation, pointée par Jean-Luc Godard, d’exprimer une impression plutôt que d’imprimer une expression se révèle vite un piège. Un piège dangereux et pervers.

Parce qu’il divise les spectateurs en deux camps difficilement réconciliables : ceux qui estiment que la multiplicité des mêmes scènes est nécessaire au plaidoyer politique qui les sous-tend et ceux qui se demandent si tant de redites ne s’apparentent pas à une forme au mieux de mépris pour leur intelligence à comprendre du premier coup.

Au pire à une volonté complaisante ou punitive visant à réactiver une culpabilité face à un passé qui malgré la déclaration des Droits de l’Homme en 1789 ne réservait pas à tous le même droit au respect ou à la dignité.

Film sombre, pesant voire accablant qui rend nauséeux, mal à l’aise, et vaguement honteux (**) « Venus noire » est porté par une jeune actrice cubaine, Yahima Torres dont la capacité à insuffler au tragique parcours de son personnage ce qui avait fait l’humanité de Joseph Merrick dans « Elephant man » de David Lynch ou la mélancolie de Lola Montes dans le film de Max Ophuls est étonnante .

Et méritante parce qu’il n’a pas dû être commode pour elle de s’inscrire, avec une talentueuse retenue, dans les rares failles laissées par les injonctions manipulatrices et/ou enfermantes d’un réalisateur obsédé par l’idée de sursaturer de nombreux doublons une réalité suffocante.

Close sur tout espoir.

Ce que n’était pas le cas du film de Régis Wargnier « Man to man » qui, sur une thématique semblable, laissait néanmoins la porte ouverte à une question : les pygmées montrés dans les foires ambulantes ne seraient-ils pas tout simplement des hommes ?

Est-ce parce qu’elle est une femme que Saartje a moins suscité ce type de compassionnelle réflexion ? (mca)

(*) tiré du livre Carole Sandrel « Vénus hottentote » édité chez Perrin
(**) Comment être sûr qu’à l’époque on n’aurait pas été l’un de ceux dont on fustige aujourd’hui la conduite ?