Coup de coeur
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Coup de coeurUN COEUR SIMPLE

Marion Laine (France 2008 - distributeur : les Films de l'Elysée)

Sandrine Bonnaire, Marina Fois

105 min.
30 avril 2008
UN COEUR SIMPLE

C’est pour répondre à une demande de George Sand, son amie, qui lui demandait après la publication de « La tentation de Saint Antoine » « Que vas-tu faire ? Encore de la désolation ? » que Flaubert s’est mis à écrire cette histoire humble et poignante - un des volets de sa dernière œuvre publiée « Trois contes » (*)

Bien des écueils guettaient la mise en images d’ « Un cœur simple ». Celui de Félicité, jeune femme qui, contrairement à la promesse de bonheur contenue dans son prénom, connaîtra surtout de la vie les abandons, renoncements et douleurs.

Beaucoup de ces écueils - la gestion du temps, la minutie du récit, la minimalisation de son aspect psychologique, l’incarnation physique des personnages et leur mal-être - ont été évités.

Parce que transcendés par une interprétation hors pair et un montage dont l’intelligence souligne (sans les surligner) les contrastes de caractères et la succession, au fil de 20 ans de vie commune, de drames et frustrations. A peine illuminée par un tardif rapprochement entre les personnages principaux.

Interprétation équilibrée de deux femmes - Sandrine Bonnaire admirable et Marina Fois surprenante -, reconstitution de la France campagnarde du XIXème siècle sans esthétique ostentatoire, retenue et économie des gestes et attitudes donnent à cette première réalisation de Marion Laine à la fois patine et éclat.

Patine parce que les héroïnes sont confinées dans un empoussièrement relationnel invalidant et éclat parce que le talent des comédiennes étoile, avec la pureté du diamant, cette incapacité à franchir les barrières sociales et affectives qui séparent une servante dévouée et une maîtresse captive de sa respectabilité de notable de province.

Félicité, jeune paysanne trahie par son fiancé qui a préféré épouser, pour échapper à la conscription, une femme riche, se place comme bonne à tout faire chez une bourgeoise dont la sèche règle de vie - le déni de tendresse - contraste avec la capacité à aimer, infantile et spontanée, de sa domestique.

Prisonnières de leurs positions sociales et corsetées chacune dans leurs névroses - se refusant d’aimer ou ne pouvant aimer que dans le sacrifice de soi - ces héroïnes sont les prototypes d’une époque mais aussi d’une féminité dont Freud a, quelques années plus tard, essayé de comprendre dans ses « Etudes sur l’hystérie » (**) le rapport refoulé au sexe.

Inspirée par la nouvelle de Flaubert, la cinéaste l’est aussi par l’esprit de l’œuvre entière de l’écrivain (***) ce qui lui permet de prendre par rapport au narratif littéraire des distances tout en restant fidèle à ce qui constitue l’âme de celui que Sartre considère comme « un auteur tragique n’écrivant que sous l’intuition du point de vue de la mort ».

Ce qui lie dans « Un cœur … » ce qui se passe à l’écran et le spectateur - venant ainsi rompre un soupçon d’amidonné dans la mise en scène ou de trop long dans l’emphase mystique de la fin du film - c’est la prédominance d’un rouge dont l’intensité cinglante comme des coups de cravache, rappelle la force destructrice du sentiment amoureux que se refusent ou qui est ôté aux personnages.

Cette couleur rouge qui éclabousse la pellicule, comme elle suscite notre émotion, du cerise de la robe portée par Félicité lorsqu’elle rencontre son amoureux ou échange quelques rares gestes de tendresses avec les enfants dont elle a la charge, des coquelicots qu’elle dépose en offrande sur un portail et du perroquet empaillé sur lequel viendra se clore une vie.

Qu’une jeune femme avait rêvé de consacrer à aimer. Simplement, absolument, sans calcul. Seulement avec son cœur. (m.c.a)

(*) Dont une dernière version a été publiée, en 2007, chez Garnier-Flammarion
(**) Aux Presses Universitaires de France
(***) L’article de Rachel Grandmangin dans « Le magazine littéraire » du mois d’avril 2008
(****) « L’idiot de la famille » paru aux éditions Gallimard