Julie Gayet, Virginie Ledoyen, Frédérique Bel, Emmanuel Mouret, Michaël Cohen
A chacun son adage.
Au « Quand New York éternue, les bourses mondiales s’enrhument » des investisseurs, répond « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Mexique » des climatologues.
C’est au tour maintenant des amoureux d’avoir, grâce à l’imagination féconde et pince sans rire d’Emmanuel Mouret, leur maxime « Avant qu’un baiser soit donné, on ne sait pas s’il sera petit ou grand ».
Un commun dénominateur entre ces trois expressions ? Celui de la prédictibilité et de la prise de risque.
Sait-on jamais, en s’y aventurant, ce que réserve l’état amoureux ? Un destin ou un instant ?
Un homme et une femme se rencontrent à Nantes. Elle lui raconte une histoire. Un conte moderne qui va le séduire, la troubler et entraîner le spectateur dans une captivante réflexion sur ce qu’est l’amour.
Du physique à la métaphysique, Emmanuel Mouret ne se refuse rien. Et il a bien raison puisque ce faisant il nous propose dans une version châtiée ce que Julie Delpy avait ébauché dans son rigolo "Two days in Paris", un traité de l’"homo amorabundus".
Des émois corporels aux angoisses existentielles, il prend le temps de la caresse et celui de l’échange intellectuel. Sans jamais les confondre mais en proposant un point de vue, sagace et subtile, sur leur complicité qui en avive la complémentarité.
Le jeu de l’amour est-il aussi celui du hasard ? L’expérience sert-elle servir aux autres ? Le meilleur peut-il exister sans l’éventualité du pire ? La mécanique du coup de foudre peut-elle s’étudier ?
Cette jolie comédie, bien écrite et subtilement interprétée par Julie Gayet n’est pas qu’interpellante. Elle est aussi cruelle et exquisement excentrique.
On est loin de la superficialité de la plupart des films français (quand ils ne sont pas des polars) contemporains qui se traînent entre vulgarité et prévisibilité.
Le cinéma de Mouret est un hommage au QI de ses spectateurs auxquels il suppose, en confiance, la connaissance d’un vocabulaire supérieur aux "500 basiques" du langage vernaculaire et d’une grammaire qui sait que la richesse d’une pensée a besoin, pour se déployer, d’une forme plus compliquée qu’un sujet-verbe-complément.
En dilettante convaincu des bienfaits de la douceur, il réussit la gageure de parler de divorce, de manipulation sentimentale, de tromperie, de mensonges sans faire résonner cris, pleurs et menaces et coups.
Décalé comme Jean-Chrétien Sibertin-Blanc, bavard comme Woody Allen, maladroit comme Jean-Pierre Léaud, théâtral comme Sacha Guitry, Emmanuel Mouret est un réalisateur qui a l’audace des timides d’allier le burlesque au pudique
Son cinéma a l’élégance un peu précieuse des boudoirs poudrés d’antan, le désopilant des amants
qui gardent leurs chaussettes au lit et le décontracté des trentenaires pour lesquels les problèmes
matériels n’existent pas.
Cerise sur ce gâteau bien savoureux : il sait - Shéhérazade au masculin - créer, par la magie du Verbe, le suspense.
La preuve : il faut attendre la dernière minute pour savoir si le baiser convoité sera (ou pas) donné. (m.c.a)