Daniel Day-Lewis, Paul Franklin Dano, Kevin J. Connor, Cian Hinds
Avoir un langage cinématographique, le décliner de façon à rendre l’imperceptible aussi éloquent que le perceptible, le magnifier par l’image et le son - tous les sons (bruits, voix, musique (*), vibrations acoustiques) sont des opportunités à créer des momentums. Des épiphanies.
Des moments bénis par les amateurs d’oeuvres d’art.
Car c’est bien d’art qu’il s’agit ici. D’une forme d’art total, la « gesamtkunstwerk » chère à Wagner, à laquelle des cinéastes - et ils ne sont pas nombreux (**) - savent donner vie.
« There will… » raconte la trajectoire d’un homme, Daniel Plainview, de Fond du Lac/Wisconsin (***) à Little Boston/Californie.
De la quête à la découverte, de la misère à la richesse matérielle, de la paternité à la solitude, du mensonge au meurtre la route est longue, sinueuse et implacable.
Comme écrite d’avance lorsque l’âme se perd dans les feux de deux enfers. L’un qui a pour nom Capitalisme et l’autre Evangélisme.
Deux « ismes », sauvages et absolus auxquels se brûlent un chercheur d’or noir devenu magnat
de pétrole et un jeune prêcheur fanatique.
Tout est lutte et combat dans cette somptueuse fresque dont les couleurs parfois font penser au
meilleur de Rembrandt. Celui chez qui l’obscur le dispute à la lumière.
Lutte contre la terre et ses entrailles pour y trouver le précieux minerai. Lutte contre les hommes
pour leur dérober, à moindre coût, leurs sous sols prometteurs. Lutte contre les concurrents qui veulent vous acheter. Lutte contre Dieu s’il essaie de s’interposer entre une volonté et sa réalisation.
Et enfin, la plus terrifiante, la lutte contre soi. Sa mégalomanie, son égoïsme, ses parts d’ombre et de folie.
La force de ce film tellurique - les premières images sont appelées à figurer parmi les plus réussies du 7ème art - est portée à bout de caméra par un cinéaste inspiré, à bout de pioche par un Daniel Day-Lewis machiavélique et à bout de Bible par un Paul Franklin Dano (****) inquiétant.
« There will… » a été tourné au Texas, dans le même désert que celui du « No country for old men » des Frères Coën et adapté d’un ample roman d’Upton Sinclair « Oil » réédité pour l’occasion par les éditions Gutenberg.
Daniel Day-Lewis a reçu pour sa prestation un nombre impressionnant de prix. www.imdb.com
Prix amplement justifiés par une prestation extraordinaire qui transcende en les unifiant plusieurs des grandes figures illuminées du cinéma : Aguirre, Citizen Kane, Dobbs du « Treasure of the Sierra Madre » de John Huston, Jay Gatsby, Howard Hughes.
La plupart des magazines proposent des interviews de l’acteur. Elles sont toutes intéressantes et illustrent une méthode de travail, précise et lente, qui explique une partie de son excellence.
Mais qui, au bout du compte, laisse sans réponse cette autre partie mystérieuse que, par défaut de vocabulaire à rendre l’indicible, l’on réchauffera du mot « Don ».
Il y a quelque chose de particulier dans le fait de voir un excellent film. Quelque chose de gratifiant. De satisfaisant. Qui fait du spectateur bien plus qu’un spectateur.
Quelque chose qui le transforme en récepteur de poussière d’étoiles. C’est stellairement le cas avec « There will be blood ». (m.c.a)
(*) de Jonny Greenwood (du groupe Radiohead) qui réussit l’exploit de faire des notes le naturel avers du visuel.
(**) Kubrick, Malik, Coppola
(***) Petite bourgade qui existe vraiment. La preuve William Sarroyan (l’inspirateur du « The banishment » de Zviaguintsev) y a consacré quelques pages dans son road-movie-book " Echappée en roue libre" édité en poche Biblio.
(****) Day-Lewis et Dano avaient déjà joué ensemble dans le mélancolique « Jack et Rose » de Rebecca Miller - la fille d’Henry Miller et l’épouse de Day Lewis