Jessica Chastain, Brad Pitt, Sean Penn
Malik et Job.
Le cinéaste culte d’un 7ème art méditatif et le patriarche biblique dont la foi est mise à l’épreuve, avec l’accord de Dieu, par Satan.
Ou encore les épousailles d’un créateur d’univers et de celui qui a perdu le sien.
Attendre le nouveau Malik c’est comme si l’on était dans une des “Quatre aventures de Rainette et Mirabelle” de Rohmer.
C’est attendre « L’heure bleue », ce moment magique coincé entre la fin de la nuit et l’aube. Ce moment où, salué par les oiseaux, le jour commence. Porteur de tous les possibles et de toutes les confiances.
Est-il possible d’être déçu par « L’heure bleue » ? Est-il possible d’être déçu par un Malik ?
Question quasi existentielle et désarçonnante pour un cinéphile qui n’avait jamais imaginé devoir se la poser pour un réalisateur dont les œuvres l’ont jusqu’à présent ravi par leur combinaison harmonieuse et audacieuse entre recherche formelle et puissance narrative.
Question qu’il ne peut néanmoins s’empêcher, presqu’à son insu, de formuler devant une réalisation qui flirte, sans être jamais effleurée par l’aile de la légèreté ou du clin d’œil irrévérencieux, avec le grandiloquent et le pompeux.
Réalisation qui essaie, avec une lourdeur dont la persévérance n’a d’autre issue que de devenir agaçante, de tresser des ponts entre les visions cosmique et intime de la vie.
Les années mil neuf cent cinquante dans une petite ville du Texas, Smithsville. Un père de famille (un Brad Pitt dont le dos est aussi buté et fermé sur ses échecs et frustrations que celui d’Olivier Gourmet dans « Le fils » des frères Dardenne) y élève - ou devrait-on dire y dresse ?- ses trois fils à la baguette.
Son épouse tente de désamorcer et d’atténuer les retombées de cet autoritarisme qui rappelle celui du Yahvé puissant et redouté de l’Ancien Testament par des réflexions christiques aussi planantes que celles de Marc Levy dans ses best-sellers sur le pardon, la bonté, l’éternité, l’invisible ….
Comme si cette opposition entre deux approches du Monde, la matérialiste et l’angélique, déclinée sans mesure et sans recul, ne suffisait pas, le réalisateur choisit, comme pour enfoncer le clou de l’endoctrinement dans les chairs du spectateur, de la doubler d’une parabole mystico-onirique sur les origines de l’Univers et de la vie sur Terre.
Rien ne nous sera épargné d’images, à la fois naturelles et numériques, qui rappellent la psychédélique exubérance des premiers travaux de vidéastes ou encore le lyrisme appliqué des reportages du National Geographic.
Le tout baigné de lumière « divine » (oui on l’a compris « God is everywhere ») et d’une musique qui par son éloquence pesamment estampillée céleste ou illustrative ( rarement « La moldau » de Smetana aura été aussi exploitée …) ne vrillent rien d’autre que les nerfs.
Si les questions de « The tree.. . » sont en soi intéressantes (*) : quel est le sens de la vie, à quel point sommes-nous déterminés par notre enfance, sommes-nous reliés par un lien magique et secret à ceux qui nous ont précédés, comment survivre à un deuil, pourquoi le suicide reste-t-il un non-dit, comment concilier douceur et violence ? … il est dommage que leurs traitements philosophique et visuel, noyés de religiosité, ne se transforment en pensum.
Comme peut l’être la lecture imposée d’une prière à un athée.
L’on pourrait bien sûr évoquer mille et une des références dont est truffé « The tree … (**), mais celles-ci n’arriveront jamais à épuiser ce qui a toujours fait la particularité du cinéma de Malik : porter sur les paysages et les gens un regard à la fois attentif et métaphysique.
C’est à la mesure de la dilution de ce dernier dans une sorte de magma poético-new age, de geyser d’images prétentieusement panthéistes que se jauge notre déception.
On sort de la projection sidéré et matraqué par une spiritualité qui met mal à l’aise.
Qui joue avec la dangerosité d’une dérive sectaire toujours en lisière d’une Amérique dysfonctionnelle prompte à laisser la lucidité se fondre dans un prêchi-prêcha pseudo visionnaire.
Même si celui-ci est porté par la force d’un cinéaste maître es cadrage et plans de toute beauté, restons vigilants.
Ne confondons pas le sublime et le n’importe quoi.
"The tree..." a remporté la Palme d’Or du festival de Cannes 2011. (mca)
(*) posées par un Sean Penn, un ancien enfant écartelé entre un père diabolisé et une mère illuminée, devenu un architecte hébété, dont le temps d’apparition à l’écran (moins de 15 minutes) justifie mal sa présence au générique juste après celle de Brad Pitt.
(**) William Blake, Odilon Redon, la Genèse, le Livre de Job, l’imaginaire de Philip K. Dick, la méticulosité de Wittgenstein, « 2001, space odyssey » de Kubrick, « Matrix reloaded » des frères Wachowski, Simone Weil « La pesanteur et la grâce », « After life » de Hirokazu Koreeda …
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