Deux regards - deux opinions
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THE KILLER INSIDE ME (selon mca)

Michael Winterbottom (GB/USA 2009)

Kate Hudson, Jessica Alba, Casey Affleck, Bill Pullman, Simon Baker

108 min.
18 août 2010
THE KILLER INSIDE ME (selon mca)

“ J’avais fini ma tarte et j’en étais à mon deuxième café quand je l’ai repéré. “ Ces premiers mots du livre de Jim Thompson (*) dont le présent film est une adaptation sont au roman noir ce que " Longtemps je me suis couché de bonne heure “ de Marcel Proust est aux grands classiques : une plongée à la première personne dans l’intériorité d’une conscience.

Celle de Lou dont l’étoile de shérif-adjoint dans une petite ville du Texas ne cachera pas longtemps les pulsions sadiques et criminelles.

Le cinéma, on le sait, est un puits inépuisable de questions. Question de toujours : pourquoi un livre ne vous tombe-t-il pas des mains alors que le film qui le déplie avec fidélité vous sort des mirettes ?

Et question d’un jour : pourquoi tout d’un coup, en le regardant, est-on envahi d’un « disguise inside me » qui donne envie de quitter la salle de projection ?

Sans doute parce que la force de l’image par son abrupte immédiateté par rapport à celle plus suggestive du verbe est un émétique à la puissance décuplée.

 

La violence à l’écran qui ne semble pas légitime - " The great ecstasy of Robert Carmichael " de Thomas Clay - engendre un malaise à la fois physique et moral lorsque le spectateur a l’impression que les partis pris du réalisateur ont pout but de le sidérer. De le manipuler ou de l’assimiler à un voyeur.

Dans sa première transcription pour le 7ème art en 1976 - scéniquement imparfaite sans doute mais dépourvue de la nauséeuse froideur qui entache le travail de Winterbottom - due au westernien Burt Kennedy, la prise de conscience par Lou de sa schize est révélée lentement et dans un tempo le mettant à égalité de découverte avec le spectateur.

Synchronicité voulue et donnant à la matière filmique une fluidité que n’a pas l’approche de Winterbottom qui, par son choix de métronomiser le récit, porte les scènes de brutalité à un degré de convulsion irrespirable.

Devenu malgré lui une espèce de cobaye dont la résistance à l’horreur est testée, saturé d’actes et d’ambiance barbares, le spectateur a le droit de se sauver et de quitter ce manège de fous fait de sensations rances et âcres.

Phagocyté par ses scènes chocs, complaisantes et misogynes, « The killer… » est un film aussi autodestructeur que le personnage qu’il met en scène.

Contrairement à Michael Haneke qui, dans ses représentations les plus extrêmes, attend du spectateur une réaction, i.e la honte d’être transformé si aisément en curieux consentant, Michael Winterbottom, par sa volonté de ne poser aucun jugement - moralisateur, social ou analytique - sur ce qu’il filme, entre dans un jeu pervers de surenchères gratuites.

La vision psychologique binaire qu’il donne de ses personnages - la prostituée violée, l’épouse battue et le brave-type-qui-se révèle-psychopathe - efface avec un aplomb qui dérange ce qui faisait la grandeur moite du roman de Jim Thompson : le désespoir sans issue qui entenaille ses héros et les transforme, à leur insu, en figures de tragédie grecque.

Sous l’objectif d’une caméra peu inspirée, ils ne sont que de simples fantoches. Des marionnettes creuses et sulfureuses. Quasiment des prototypes.

La composition monolithique de Casey, considéré jusqu’ici comme le seul véritable acteur de la famille Affleck, réussit la prouesse d’enlever avec une affligeante constance au personnage de Lou toute complexité ténébreuse.

Quant à Jessica Alba, ravie de se répandre en interviews (**) au cours desquelles elle déclare que son rôle l’a fait grandir (***), on se demande si elle a bien compris que sa prestation est avilissante. Et que s’enorgueillir d’un tel rôle déforce les combats menés par tous les mouvements soucieux de lutter contre la violence infligée aux femmes.

Winterbottom aime choquer. On le sait depuis son faisandé « 9 songs ». Même si on lui accorde le crédit de vouloir autre chose qu’entrer en compétition avec Gaspard Noé on ne peut qu exprimer son étonnement devant le prix de la critique qui lui a été décerné, cette année, lors du deuxième festival international du film policier de Beaune. (mca)

 

(*) réédité en Folio Policier chez Gallimard
(**) notamment dans le Figaro du 10 août 2010 dans un article intitulé " Fini la jolie poupée" !

(***) ... alors que selon la rumeur elle aurait quitté à Sundance la projection, surprise par la bestialité de sa première scène.