Konstantin Lavronenko, Marie Bonnevie
Hystérésis. Le mot qui vient à l’esprit après la vision de ce film à la beauté contemplative et poignante
L’hystérésis ou la rémanence des images. Celles qui restent bien au-delà de leur vision.
Parce qu’elles touchent l’oeil mais aussi et surtout cette région intime et close sur elle-même dont les réalisateurs n’ont la clef que s’ils ont du talent.
De ce talent qui inaugure une conversation d’âme à âme entre celui qui filme et celui qui regarde.
Un homme, une femme et leurs deux enfants s’installent dans une vieille maison de famille loin de la ville. Sous l’aile tutélaire d’un arbre qui, rappelant celui du « Le sacrifice » d’Andrei Tarkovsky, laisse présager qu’il se cache derrière cette célébration païenne de la nature une dimension moins évidente, plus mystique et progressivement angoissante.
Cette famille ne vient pas de nulle part. Elle a quitté une ville industrielle, oppressante. Dont la noirceur est cet autre côté de la conscience lorsque celle-ci se leste du poids de la faute, du poids de la culpabilité.
Comme dans « Le retour », son film précédent - Lion d’Or à Venise en 2003,- Andreï Zviaguintsev
donne au Symbole et à sa fonction de transcender le quotidien une lumière et une spiritualité qui
blessent autant qu’elles fascinent.
Pour donner vie à l’ébranlement des personnages dans leurs plus profondes croyances, il fallait des acteurs habités. Zviaguintsev les a trouvés. Konstantin Lavronenko, prix d’interprétation masculine au festival de Cannes 2007, donne au père une présence lourde de corporalité, de spleen et de dangerosité.
Marie Bonnevie incarne, avec une dense fragilité, le revers de la simplicité signifiante de son patronyme. La bonne vie elle accepte de la sacrifier au nom d’une rédemption qu’elle n’espère plus ici-bas.
Des silences, des plans séquences infinis et infiniment beaux, une musique qui résonne le sacré,
une façon de filmer la transparence des jours qui fait penser à l’ardeur secrète du peintre Antonio Lopez à capter celle d’un cognassier dans le magnifique « The dream of light » de Victor Erice, apportent à « The banishment » la grâce du divin.
Grâce toujours inatteignable parce que lardée de soupçons, de doutes, de matérialité contraignante.
Grâce refusée à laquelle le réalisateur a choisi de donner les couleurs d’un visible que ceux qui ont vu le documentaire de Richard Olivier (*) connaissent bien.
Celles de Marchienne-au-Pont, ce coin lugubre de la région de Charleroi (Belgique) par lequel il faut passer pour accéder à la verdoyance d’alentours plus enchanteurs.
« The banishment » est adapté d’un roman de William Saroyan (***) dont le cinéaste russe a su tirer bien plus que la substantifique moëlle. (m.c.a)
(*) « Marchienne de vie » - www.olivier-films.be
(**) Au titre énigmatique "The laughing matter" paru dans sa traduction française "Matière à rire" aux éditions del Duca-Paris