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SWORN VIRGIN (VIERGE SOUS SERMENT)

Laura Bispuri

Alba Rohrwacher, Flonja Kodheli, Emily Ferratello, Lars Eidinger, Luan Jaha

90 min.
30 septembre 2015
SWORN VIRGIN (VIERGE SOUS SERMENT)

Indéniablement, le sujet abordé par Sworn Virgin (sélectionné en compétition
officielle à la dernière Berlinale) ne manque guère d’intérêt, et l’on pourrait
même jusqu’à affirmer qu’il recèle un haut potentiel de séduction.
Malheureusement, l’approche formelle de sa réalisatrice, Laura Bispuri,
pourrait en laisser plus d’un perplexes quant au jugement cinématographique à
réserver à ce premier film dans sa globalité.

Inspiré du roman éponyme d’Elvira Dones, Sworn Virgin évoque une tradition
ancestrale héritée d’un kanun du 15ème siècle (un code pénal élaboré
sous la domination ottomane) par laquelle une femme fait vœu de chasteté et est
autorisée à se comporter en homme. En contrepartie à ce serment irrévocable, la
« vierge jurée » peut bénéficier des privilèges uniquement réservés aux
hommes : « Elle a ainsi le droit
d’avoir un nom d’homme, de porter des vêtements masculins, de posséder une arme
à feu, de fumer, de boire de l’alcool, de faire un travail d’homme, de jouer de
la musique, de participer aux conversations masculines, ainsi que d’agir en
tant que chef de famille, par exemple si elle vit avec une sœur ou sa mère.
 » Cette
tradition archaïque et patriarcale perdure encore aujourd’hui dans le nord de
l’Albanie et dans une moindre mesure en Macédoine.

Sworn Virgin retrace ainsi le
parcours de Hana (Alba Rohrwacher) qui, devenue Mark, quitte le
pays qui l’a vue naître (l’Albanie) pour arriver en Italie auprès de sa sœur
d’adoption, Lila. Cet exil ouvrira pour cette vierge jurée les portes d’un voyage
intime et mental qui l’amènera à explorer les frontières souvent ambiguës d’un
corps qui jusque-là avait été sexuellement muselé.

Sworn
Virgin
est-il un film inabouti ou laisse-t-il
volontairement planer une ambiguïté quant à la psychologie de son personnage
pour mieux servir son propos ? Telle est la question qui pourrait
interpeller le spectateur au sortir de la projection.

D’un point de vue narratif, la réalisatrice a
pris le parti de ne pas assigner à son récit une structure linéaire mais
d’intérioriser le cheminement de sa protagoniste en usant de flashs back. Les
fréquents retours sur la jeunesse de Hana servent ainsi d’incursions mentales à
Mark, qui essaie tant bien que mal de se conjuguer au présent et d’y ajuster un
corps masculinisé. Même si la démarche peut se justifier psychologiquement,
l’usage trop souvent maladroit des flashs back dilue la puissance du sujet et
ralentit inexorablement la progression de l’intrigue. L’évocation du passé sert
certes les atermoiements sexuels de son héroïne mais, par voie de conséquence,
il confère à l’ensemble du film une fâcheuse atonie rythmique. À cet égard, il
est d’ailleurs hautement regrettable que le film ne s’ouvre pas sur l’une des
scènes les plus marquantes du film, i.e., le cérémonial du serment. Cela eût été
là assurément un coup gagnant qui aurait d’emblée donné force et corps au
propos du film.

Quant à l’évolution du personnage, certains
spectateurs perceront peut-être à jour les motivations profondes qui l’ont
amenée à faire serment de chasteté et y discerneront peut-être une forme de
rébellion envers une société patriarcale barbare qui réduit purement et
simplement la femme au rang d’objet (le poids d’une femme n’a d’égale que celui
d’une balle de fusil). Mais force est de constater qu’émotionnellement Mark
suscite bien peu d’empathie. Dans quelle mesure cette femme est-elle affectée
par la condition réservée aux femmes ? Quelles sont les raisons qui
l’incitent à devenir une vierge jurée (une décision qu’elle prend de son plein
gré et à la vitesse de l’éclair) ? Sur le plan émotif, la protagoniste
demeure opaque, et l’on ne peut que spéculer sur les raisons de son
choix : le serment de chasteté est-il le seul moyen d’échapper à un
mariage forcé ? Est-il la seule voie possible d’acquérir des droits égaux
aux hommes et ainsi gagner une certaine forme de liberté ? Est-il un aveu de
fidélité et d’éternelle reconnaissance à l’homme qui l’a recueillie et éduquée
comme sa propre fille ? Ou est-ce un moyen de dissimuler une homosexualité
latente ou, à tout le moins, de refouler l’amitié amoureuse qui la lie à sa
sœur ? Sworn Virgin entretient à
cet égard un flou artistique. Les âmes bienveillantes verront probablement dans
ces vaporeuses hypothèses une forme de délicatesse eu égard à la complexité de
son sujet, les autres, moins amènes, en sortiront circonspects, voire frustrés.

Enfin, s’il faut encore égrener quelques
regrets à notre chapelet, l’on peut également s’étonner que Laura Bispuri n’ait
plus amplement joué au plan symbolique et photographique sur les décors
naturels où se déroule une partie de l’action (les montagnes qui séparent l’Albanie
du Kosovo). À titre de comparaison, l’on se souviendra notamment de la
virtuosité avec laquelle ZH-CN" lang="FR">Andréas Prochaska avait usé des décors naturels du Tyrol pour créer une
atmosphère prégnante dans The Dark Valley
et faire de l’espace si ce n’est un personnage à part entière, à tous le moins
la caisse de résonance de son drame. C’est là une dimension totalement absente
de Sworn Virgin .

Dans
la même perspective, si une grande partie de l’éveil de la sensualité de Mark
est favorisé par la confrontation de corps qui s’exhibent dans une piscine où
sa nièce s’adonne à la pratique de la natation synchronisée, le chromatisme
photographique choisi n’offre ici aucun chatoiement. Les quelques rares ébats sexuels
auxquels se livre Mark ont d’ailleurs lieu dans cette piscine mais, gentiment
dit, l’esthétique des gestes et du cadre n’est en rien irisée par une
sensualité poétique.

ZH-CN" lang="FR">

To be a man or to be(come) a woman ? Sworn Virgin a le mérite de déflorer un troisième sexe, un transgenre qui, fait
unique en Europe, est socialement encadré par une tradition ancestrale, et sa
réalisatrice a l’intelligence de ne pas imposer une vision dualiste de son
sujet en faisant de l’Italie un univers où tout est rose bonbon et en
véhiculant l’image d’une Albanie en retard de deux-guerres quant à la condition
féminine, mais… chacun jouira de ce film comme il le pourra.

( Christie Huysmans )