Michael Shannon, Douglas Ligon, Barlow Jacobs
Le Fatum dans un coin perdu de l’Arkansas où Shakespeare aurait pu, lui aussi, entre deux parties de pêche porter un bandana et un fusil.
Deux aphorismes qui collent bien à cette histoire sombre, portée par une mise en scène sobre, de haine et de vengeance entre deux familles de l’Amérique profonde, unie par le même géniteur qui a abandonné la première pour fonder la seconde.
Premier film d’un jeune cinéaste américain de 29 ans, « Shotgun … » est une impressionnante réussite.
Dont la forme s’enroule, avec la maîtrise et la force du lierre enserrant ce qui entrave sa progression, autour d’une narration qui ne cherche pas à juger ou à moraliser une situation. Mais juste à la saisir, avec une fièvre plombée à la Faulkner - nous sommes dans un bled perdu de la Cotton Belt lyrisée par l’auteur de « Sanctuaire » - dans sa dimension la plus authentique.
La plus tragique.
Tourné en cinémascope, « Shotgun … » est une ode et un égoût.
Une ode à des paysages bouleversants de grandeur (*) et en même temps, dans une sorte de chassé-croisé vertigineux, une descente au plus profond des blessures intimes. De celles qui ne se cicatrisent que suturées par la violence, la passion drue et primaire, le besoin de faire souffrir. Aussi fort que l’on a souffert.
Chronique d’un désastre annoncé par des plans longs et attentifs à décrire une atmosphère de torpeur dans laquelle rancunes et rancœurs auront le temps de mijoter avant d’exploser.
Avec une énergie aveugle et fatale qui ne fera qu’enferrer les personnages dans la boucle sans fin des demi-frères ennemis. Horaces et Curiaces voués à la vendetta sans issue si aucun pardon ou explication des différends ne vient alléger l’envie d’en découdre.
Personnage absent de l’écran, le père dont la mort scelle le désir de Némésis des enfants qu’il a délaissés n’en occupe pas moins symboliquement une place pivot.
Celle d’incarner une loi - la loi qui lorsqu’elle n’est plus là pour servir de garde-fou aux instincts, plonge le monde dans un abîme de malédictions.
Si l’essence même du western (**) est de rappeler que l’individu est un être en quête, « Shotgun … » est un western.
Qui s’autorise de la meilleure des paternités, celle du John Ford de « The man who shot Liberty Valance » qui oppose le monde de la Loi représenté par James Stewart à celui du chaos incarné par Lee Marvin.
Les acteurs apportent à ce film éprouvant une présence faite d’humanité blessée qui subjugue par sa densité. Ils nous emportent dans leurs délires.
Nous attachant à leurs failles et voulant savoir, comme si cette histoire était emblématique de la difficulté éprouvée par chacun de concilier fureur et apaisement, comment l’histoire se terminera pour eux. (m.c.a)
(*) Jeff Nichols doit avoir dans son Panthéon cinématographique des souvenirs de Terrence Malik et d’Anthony Mann
(**) Fors les critères déterminés par André Bazin dans sa préface au livre de Jean-Louis Rieupeyrout « Le western ou le cinéma américain par excellence » paru chez l’éditeur P.Cerf.