Isabelle Huppert, Valérie Dréville, Bouli Lanners, Richard Debuisne
L’homo belgicus.
Isabelle commence à bien le connaître - son témoignage sera précieux le jour où il aura cessé d’exister -depuis qu’elle a tourné sous la direction du bruxellois Joachim Lafosse et eu comme partenaires le flamand Kris Cuppens et le wallon Olivier Gourmet. (*)
C’est au tour de Bouli Lanners, acteur épatant et réalisateur généreux, de former avec elle un couple crédible tout autant qu’insolite.
Il est psychanalyste et lassé des névroses geignardes de ses patients. Elle est prostituée et fatiguée des caprices de ses clients.
Même si les liens entre les deux exigeantes disciplines que sont l’art d’écouter et celui d’aimer sont nombreux (d’un côté le divan, la souffrance, la séance, le refoulement, la déontologie et le silence, de l’autre le lit, le plaisir, la passe, le fantasme, le rituel et la discrétion), le propos de Jeanne Labrune n’est pas de les recenser mais de s’en servir comme toile de fond d’un mal-être.
D’un burn-out, cet épuisement professionnel et nerveux qui frappe nos contemporains comme le faisaient la tuberculose au XIXième siècle ou la dépression au XXIème.
Jean-Louis Servan-Schreiber a écrit dans le style pompier qui le caractérise un petit bouquin solennel sur la crise de la mi-vie (**) ou l’entrée en quarantaine et l’envie de change d’existence qui souvent l’accompagne (**).
Jeanne Labrune, elle, décide de donner à celle-ci un ton enjoué et vif qui, hélàs, s’embourbe vite dans le cliché bavard, le jeu de mot évident et la démonstration lourde.
Notamment dans son parti pris « onfraysien » (***) d’estoquer la psychanalyse mais elle le fait avec une superficialité qui se contente de transformer la charge en pétard mouillé. Ne dénonçant ainsi rien que le spectateur ne connaisse déjà.
Un seul concept semble sortir intact de cette mise en coupe, convenue et bateau, de la théorie freudienne. Celui du transfert. Ce levier de la cure analytique qui ne s’établit pas avec Mathieu Carrère (au look très lacanien) mais s’installe comme allant de soi avec Richard Dubuisne. Psychiatre qui, par sa mise à distance respectueuse de la personne en souffrance, réconcilie avec la notion de l’écoute de la parole de l’autre.
Il n’en demeure pas moins que « Sans queue… » se décline sans conviction et se laisse voir sans peine. Avec cette sorte d’indifférence qui alanguit le spectateur désireux de voir, en fin de semaine, un film facile, finaud plus que subtil et boosté par des comédiens qui n’ont pas peur du ridicule.
A cet égard Isabelle est formidable. Elle semble n’avoir peur de rien. Se prêtant corps sans âme aux délires masculins les plus zinzins (sans être dangereux). Comme celui de se déguiser en adolescente japonaise mi-jupée et sockettée. Réussissant à ressembler à l’artificialité guindée de l’affiche de "Air Doll" de Hirokazu Kore-Eda
Petit frère en moins vulgaire du « Le prix à payer » d’Alexandra Leclère, « Sans queue.. . » égratigne (softement) une société, la nôtre, où tout se consomme et s’achète. La chair comme le rêve. La relation à l’autre comme la solitude.
Il y a quelques bons moments dans cette réalisation, la 8ème de Jeanne Labrune. On les aurait aimés plus nombreux, plus incisifs et le comble pour un film mettant en scène deux professions censées ... décoincer moins frigides. (mca)
(*) Dans l’ordre « Nue-propriété » de Joachim Lafosse et « Home » d’Ursula Meier.
(**) Paru en poche
(* **) « Le crépuscule d’une idole" dans lequel en rupture complète avec sa sensibilité d’hédoniste qui nous avait tant réjouies le philosophe a décidé, ce printemps 2010, de tordre le cou (ou du moins d’essayer) aux théories freudiennes.