Un film de Nicolas Philibert c’est se trouver devant une fenêtre que l’on ouvre bien grand pour voir mieux et plus loin.
Dans « Retour… » quatre dates :
1835 : Pierre Rivière tue à la serpe sa mère, sa sœur et son frère.
1971 : Michel Foucauld, dans un cours magistral au Collège de France sur l’histoire des rapports entre la justice pénale et la psychiatrie, présente le mémoire rédigé par Rivière durant sa détention préventive afin de « donner détail et explication de son crime ».
1975 : René Allio, le cinéaste exigeant de « La vieille dame indigne » et « Rude journée pour la reine », décide de porter à l’écran cette histoire. Un de ses assistants réalisateur s’appelle Nicolas Philibert.
2006 : Nicolas Philibert revient sur les lieux de tournage pour raconter et se souvenir. « Retour… » est un de ses films les plus personnels et les plus émouvants.
Film gigogne, il est un travail sur la mémoire, la trace et l’empreinte. C’est en partant à la recherche des acteurs non professionnels de « Moi Pierre… », tous des paysans du bocage normand, et en les écoutant témoigner que Philibert a capté l’essentiel du processus mnémotechnique : qu’est ce qui s’imprime chez chacun de la trace laissée par la mémoire d’avoir participé, ensemble, à un projet cinématographique ?
De la souvenance intime à la fonction du cinéma d’être le réservoir d’annales personnelles et collectives - la visite à l’IMEC (*) de Caen - le chemin est évident.
Jamais voyeur ou intrusif, le regard du réalisateur s’attache avec la même tendresse et le même intérêt que ceux avec lesquels il suivait l’instituteur Georges Lopez et ses élèves dans « Etre et avoir », à saisir en quoi la participation à une œuvre a été, pour la plupart des personnes qu’il interroge, un acte fondateur.
Un acte que Claude Hébert (**) n’hésite pas, dans l’interview accordée à Isabelle Regnier dans le journal « Le Monde » du 3 octobre 2007, à déclarer essentiel dans l’engagement qui le lie aujourd’hui à l’Eglise. « C’est par l’expérience de confiance, que fut le tournage en 1975, que m’a été donnée l’estime de moi-même. En mission, c’est cette même confiance que je veux faire naître au cœur de mes frères et sœurs haïtiens dont la vie et l’histoire sont si bouleversées. »
« Moi Pierre Rivière… » était et demeure un film singulièrement moderne. Ses prises de positions sociales et politiques s’y déclinaient en harmonie avec une sympathie pour ses paysans-acteurs.
« Retour… » est tout autant le portrait du cinéaste Allio réputé pour son exigence et son humanité qu’un constat sur l’état d’un cinéma actuel toujours économiquement fragilisé lorsque son propos sort des sentiers battus et sur un monde rural tout aussi menacé.
Et surtout, il est un pudique hommage rendu par Nicolas Philibert à son père qui, comme le
le « Rosebud » du « Citizen Kane » d’Orson Welles, a irrigué, par sa présence souterraine et muette, ce beau film tissé de rencontres et de paroles. (m.c.a)
(*) Institut Mémoires de l’ Edition Contemporaine
(**) Le jeune interprète de Pierre Rivière est devenu missionnaire en Haïti.