Jalil Lespers, Jean-Claude Vallot, Chantal Barré.
Aller filmer une usine dans ses rouages et dans son fonctionnement le plus intime, le plus pervers, ce n’est pas une thématique évidente. Pourtant, au-delà des injustices sociales, ce que Cantet sublime avec ce premier long métrage, ce sont les rapports humains. Avec une force rare. Parce que terriblement sincère.
Il est vrai que le pitch de « Ressources Humaines » laisse à première vue entrevoir un film à vocation sociale qui peut sembler rébarbatif. Un paysage du nord, gris, bouché. Un environnement industriel peuplé de manufactures, de protestations syndicales, d’ouvriers moroses. On redoute l’ennui de l’instrumentalisation, la systématique des gestes inlassablement répétés.
Pourtant, le film de Laurent Cantet est d’une tout autre facture. Il filme effectivement cette atmosphère sans fard ni effet, avec une caméra quasi documentaire qui capte plus qu’elle ne montre. Il entretient un rapport premier aux choses qu’il appréhende, une simplicité non feinte dans la manière de montrer ses acteurs pour la plupart non professionnels, qui évoluent à l’écran dans leur réalité quotidienne.
De là, naît la sensation d’honnêteté totale à la vision de ce film. Une honnêteté qui se déploie au travers des images, et qui se construit par un scénario à la teinte réaliste sans sombrer dans le misérabilisme pour autant.
Car c’est là la force du réalisateur : s’il dénonce une réalité sociale, il le fait au travers de ses personnages. On se trouve à l’opposé de l’exposition revendicatrice avec « Ressources Humaines ». Cantet décrit ce climat d’injustices sociales en suivant le parcours de ses protagonistes, trajet tant professionnel qu’affectif.
Ce sont bien des humains qu’il nous donne à voir, avec tout ce que cela comporte d’heurts et d’émotions, de silences et de mots, d’affection et de colère.
Et c’est soudain l’humanité du film qui nous frappe de plein fouet. Une humanité dépouillée, élaguée du superflus pour ne garder que l’essentiel, le regard d’un fils pour son père, celui de ce dernier sur l’univers qui est le sien depuis tant d’années, enfin le questionnement final, qui interroge la place que l’on doit occuper, tant dans le monde du travail que dans l’environnement familial.
Une question qui désarme. Parce qu’on se l’est tous posé. Sans forcément pouvoir y apporter de réponse, comme c’est le cas du héros.
Grâce à l’émulation engendrée par la Palme d’Or donnée à « Entre les Murs », plusieurs cinémas permettent de redécouvrir l’œuvre de Laurent Cantet.
Et c’est plus que tant mieux. (Justine Gustin)