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PRINCE AVALANCHE

David Gordon Green

Paul Rudd, Emile Hirsh

94 min.
15 janvier 2014
PRINCE AVALANCHE

Une forêt dévastée par un incendie, et qui commence à peine à renaître de ses cendres*. Deux hommes campant au milieu des bois, rassemblés pour effectuer le marquage d’une route endommagée par le feu, et séparés par le fossé d’une génération. L’un, Alvin (Pal Rudd), sérieux, raisonnable et solitaire, a atteint la maturité de la quarantaine ; l’autre, Lance (Emile Hirsh), insouciant, un brin fanfaron, est âgé d’une petite vingtaine d’années et ne pense qu’à faire la fête et à rencontrer des filles. En apparence, tout oppose ces deux hommes tant dans leur conception du travail, de la vie et des femmes que dans l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. 

Au milieu de ce no man’s land, deux autres personnages semblant sortir de nulle part : une femme en errance recherchant des débris d’elle-même au milieu des décombres de sa maison ravagée par les flammes, et un vieil homme qui arpente la route traversant la forêt, et se déleste bien volontiers de quelques bouteilles de whisky pour réconforter Alvin et Lance.

Un scénario simple, une histoire qui se présente sous des dehors légers mais nous renvoie au théâtre de nos idées préconçues et nous met face à nos petites scènes intérieures qui frisent l’absurde plus souvent que l’on ne le croit lorsque l’on se joue la plus triste des comédies : celle des faux-fuyants, celle du rôle que l’on croit devoir endosser pour son bien et celui des autres parce qu’il en est ainsi ou doit en être ainsi. Et ce n’est que dans la confrontation avec l’autre, dans la mise en doute qu’il nous impose sur ce que l’on tenait pour vrai et sûr, que l’on réalise que nos certitudes, à commencer par celles que l’on s’est efforcé de nourrir sur soi, sont vacillantes.
 
Prince Avalanche
, couronné de l’Ours d’Argent à Berlin (meilleur réalisateur), offre avec une belle économie de moyens, une allégorie, tracée tout en finesse, sur le chemin de vie que tout un chacun est susceptible de parcourir à un moment de son existence, le marquage au sol représentant la ligne jaune imaginaire ou imaginée à ne pas franchir si l’on veut conserver son intégrité. C’est le fameux « Connais-toi toi-même » de Socrate, qui ne nous engage nullement à verser dans une analyse égotiste de soi mais bien à connaître nos limites. Mais l’être humain est ainsi fait qu’il doit souvent se mettre en danger ou être poussé dans ses retranchements les plus extrêmes pour apprendre à connaître ses limites et ainsi parvenir à les comprendre. Tantôt poussé par l’hybris ou l’amour de soi et des siens, il se dépasse, se surpasse ou se surestime ; tantôt pétri par le doute et englué par une image erronée de ses capacités, il se sous-estime, fuit et flanche. Fort heureusement, cette transcendance, tout à la fois positive et négative, chanceuse ou triste, drôle ou douloureuse, lève le voile des apparences et révèle la connaissance.

Dans une même perspective symbolique, cette immense forêt, qui, elle, semble sans fin et sans limites, constitue ce paysage intérieur qu’un seul craquement d’allumette est parvenu à embraser parce que certaines broussailles, trop longtemps laissées en friche, se sont asséchées pour mille et une raisons insoupçonnées. Cependant, au beau milieu du désastre, jaillit une rivière, vivier de l’espérance, tout autant que gît une immensité occultée, parfois souterraine, ou encore sise au-delà du visible, toujours grouillante de vie, maintenue en équilibre par le tracé d’une route, telle une vie qui se déroule, dont les limites parfois zigzaguent, voire disparaissent momentanément. 

Enfin ce n’est pas sans raison qu’une femme se tenant sur la margelle d’une folie douce, pôle inconscient et dévastateur de nos sentiers secrets, ainsi qu’un vieil homme qui sillonne inlassablement le même chemin, pôle conscient d’une pensée tantôt raisonnable tantôt déraisonnable, trouvent tous deux pleinement leur place au cœur de ce panorama et apparaissent à ces deux hommes, de manière impromptue, comme des (é)veilleurs de jour. 

Prince Avalanche , film lumineux et très masculin dans son approche (parfois musclée et éthylique), aborde l’universellement humain avec une simplicité désarçonnante. François Weyergans dit en 2005, après avoir obtenu le prix Goncourt pour son roman « Trois jours chez ma mère » : « Ecrire simplement est extrêmement difficile » ; il en va assurément tout autant pour le cinéma que pour l’art de vivre la vie lorsque celle-ci nous force à approcher les évidences. 

(Christie Huysmans)


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* Prince Avalanche a été tourné à Bastop au Texas, comté qui a été ravagé en septembre et en octobre 2011 par des incendies de forêt dévastateurs et meurtriers.