Réflexion politique
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PATER

Alain Cavalier (France 2011)

Vincent Lindon, Alain Cavalier

105 min.
22 juin 2011
PATER

Il y a eu « La farce de Maître Patelin » maintenant il y aura « La farce de Maître Cavalier ».

Comment appeler autrement (*) cette follement douce galéjade filmée avec classe, élégamment cadrée dans de beaux intérieurs, interprétée avec une étonnante tendresse par Vincent Lindon et à laquelle il sera beaucoup pardonné (y compris l’impression d’ingénuité ou de vacuité qu’elle suscite) parce qu’elle est marquée du sceau d’un ironique et bienveillant second degré.

Et totalement dépourvue de l’accablant sentiment de vanité qui se dégage de celui qui croit qu’il possède la réponse aux questions qui secouent une France de plus en plus fracturée par la différence de revenus entre ses citoyens.

 

Le réalisateur a depuis longtemps dépassé l’âge de jouer à la Nintendo DS et pourtant il semble connaître les détours et méandres des jeux de simulation dont le succès est dû à l’incompressible besoin que nous avons de fantasmer.

De nous inventer « a second life », une autre vie où nous avons le loisir de faire comme si. Les filles sont princesses, les garçons Zorro ou Robin des Bois, les adultes de « Pater » Président de la République et Premier Ministre.

Ce qui permet au spectateur plus âgé de se dire « Chouette, avant l’adage voulait qu’il n’y ait plus de jeunesse, aujourd’hui il est remplacé par le dicton voulant qu’il n’y ait plus de vieillesse » - l’un comme l’autre d’ailleurs totalement faux comme l’est la prétendue vérité du 7ème art.

Si l’on est habitué à l’exigence d’Alain Cavalier, à l’impulsivité de Vincent Lindon, l’on est un peu perplexe par la coquetterie avouée du premier et l’idéalisme sans tache du second.

Faiblesse et excès de qualités qui exprimées en alternance quasi métronomiques rappellent que nous sommes bien dans un film, c’est-à-dire dans un territoire où les dires et attitudes ont comme butée un vraisemblable dont le souci n’est pas de radiographer le terrain du réel quotidien mais de refléter la vision d’un réalisateur (**) - "Le cinéma, l’art d’une civilisation" de Daniel Banda et José Moure paru chez Flammarion.

Raison pour laquelle sans doute, au fur et à mesure que le spectateur s’installe dans le film, celui-ci perd de son pouvoir de séduction et finit par agacer pour les mêmes raisons que celles par lesquelles il avait dans un premier temps charmé.

Si le pouvoir est bien une comédie - François Giroud l’avait axiomé dans un de ses romans dès 1977 - , il est aussi une mise en place patiente de pions, d’idées malléables à l’envi, de revirements et de compromis(sions).

Et de palabres autour de repas bien arrosés qui soit dit en passant laisseraient en lisière de table la plupart des salariés dont le sort semble pourtant intéresser au premier chef l’équipe de « Pater », confirmant ainsi un autre axiome rendant difficilement conciliables le politique et le social : l’aveuglement des nantis sur leurs privilèges.

Dans « Un étrange voyage » en 1980, Alain Cavalier filmait sa fille, Camilla de Casabianca, racontant sa vie.

 

30 ans plus tard, celle-ci consacrait au Nouveau Parti Anticapitaliste dont Olivier Besancenot était un des initiateurs - un documentaire "C’est parti" dans lequel était, entre autres, abordée la distorsion entre les rémunérations minimales (avec plancher) des travailleurs et maximales (sans plafond) de leurs dirigeants.

Est-il dès lors exagéré de dire que si « Pater » doit beaucoup au père du réalisateur, image fondatrice et ensuite clonée de l’autorité, il doit aussi quelque chose à l’engagement d’une fille ?

Image d’une féminité bien absente de « Pater » laissant comme un arrière-goût d’un film très masculin.

Un film de "garçons", pendant trop répandu d’une tradition cinématographique, elle encore trop rare, de regards (***) qui placent les femmes en dehors de l’orbe unique du désir pour en faire des sujets capables de créer leur propre univers de pensées.

Alors « Pater » un buddies movie n’en déplaise à ceux qui veulent y voir une source d’inspirations pour les futurs candidats aux élections françaises de 2012 ?

 

Lors de sa présentation, dans la catégorie compétitive officielle, à Cannes cette année le film a été ovationné pendant 12 minutes. Il n’a reçu aucune récompense.

 

Soulignant ainsi une forme de distorsion. Celle entre le public et un jury. (mca)

(*) interlude, trou d’air, devoir de fin de semaine, acte d’allégeance d’un centre gauche artiste à un centre gauche pratique, envie de se faire plaisir, besoin de botter des tendances à méditer sur la fuite du temps (« Le filmeur », « Irène »), souvenir de catéchisme qui rappelle qu’en fin de confession le prêtre peut infliger, à titre de rachat d’errances peccamineuses, quelques « Pater », désir de pérenniser, grâce à une caméra interchangée, une amitié avec son acteur principal ...

(**) vision plus ludique et amusante que celle, obscure et barbante, de Godard dans "Socialisme" ou encore celle, cynique et effrayante, de Yves Jeuland dans "Le Président", le film passionnant sur Georges Frèche qui sort cet été à l’Ecran Total.

(***) "La vie au ranch" de Sophie Letourneur, "La vie ne me fait pas peur" de Noémie Lvosky ...