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ORPHELINE

Arnaud des Pallières

Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot,...

111 min.
5 avril 2017
ORPHELINE

Quatre ans après Michael Kohlhaas, l’adaptation du roman d’Heinrich von Kleist présentée en compétition officielle au Festival de Cannes 2013, Arnaud des Pallières signe, avec Orpheline, sa deuxième collaboration avec sa coscénariste Christelle Berthevas qui, cette fois, fait office d’auteure, car le film s’inspire de son histoire personnelle.

À partir de fragments de souvenirs de Berthevas, Orpheline dresse le portrait d’une femme à quatre âges différents de sa vie. Ces blocs d’existence (la petite enfance à la campagne, l’adolescence marquée par les fugues successives, les années de débrouille, l’âge adulte) se dérobent à la linéarité d’un montage chronologique et le principe de l’ellipse engendre des coupes qui sont autant de vides laissés à l’interprétation libre du spectateur.

Ambitieux dès l’écriture du scénario, Orpheline s’appuie sur une construction complexe, mais régie par une règle assez simple – pour peu que l’on y adhère dès le départ : un âge, un prénom, une actrice. Quatre mues successives d’une identité à interroger. Ainsi, Vega Cuzytek incarne Kiki à six ans, Solène Rigot, la révélation du film, est Karine à treize ans, Adèle Exarchopoulos joue Sandra à vingt ans, tandis qu’Adèle Haenel interprète Renée à vingt-sept ans – dans un segment purement fictionnel destiné à nourrir les trois autres étapes du récit. En abandonnant l’idée de ressemblance entre les comédiennes – toutes les quatre excellentes –, Arnaud des Pallières transforme son personnage principal en une héroïne protéiforme qui, bon gré mal gré, fuit les assignations sociales pour récréer, par le biais de la fiction, son identité.

Pour mettre son concept au service de l’émotion, Orpheline propose un langage cinématographique aussi audacieux que déroutant qui mélange une forme de naturalisme avec des moments plus sensoriels. À ce titre, le film ne contient pas de partition musicale originale. La musique y est rarement présente et quand c’est le cas elle a une fonction diégétique – c’est-à-dire dans le récit – souvent de nature synesthésique. Cette volonté de produire un effet sur le spectateur se traduit aussi par le biais de champs-contrechamps construits comme des regards-caméra à l’adresse du public qui est mis à la place du personnage principal.

Pourtant, en assumant complètement sa frontalité (dans les dialogues comme dans les situations et la mise en images de celles-ci), Orpheline se heurte souvent à une vision du réel peu plaisante. Pas tant parce que l’on s’en trouve choqué, mais parce que les codes du naturalisme et une forme de structure d’agression étouffent l’émotion recherchée et éloignent finalement du personnage principal. Dans certaines scènes – qui mêlent sexualité, humiliation et violence (verbale et physique) –, les personnages secondaires, masculins, peinent également à exister et à dépasser le rapport de domination qu’ils représentent.

En définitif, malgré une démarche intéressante, une proposition de cinéma plutôt riche et un casting sans fausse note, Orpheline souffre, parfois, des mêmes aliénations que ses protagonistes et se retrouve handicapé par les limites que lui imposent ses choix représentationnels sans concession.

Katia Peignois