Ecran Total
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Coup de coeurOLD JOY

Kelly Reichardt (USA 2005 - distributeur : Ecran Total)

Will Oldham, Daniel London, Tanya Smith

73 min.
1er août 2008
OLD JOY

Il y a des films I mportants et des films i mportants. Les premiers, dont certains peuvent être des chefs d’œuvre, sont reconnus par un large public. D’amateurs et de cinéphiles. Un exemple qui date de cette année : « There will be blood » de Paul Thomas Anderson.

Les seconds n’ont de valeur que pour le nombre (petit souvent) de spectateurs qui y ont vu ou reconnu quelque chose qui les touche.

Un quelque chose d’intime, de personnel toujours - ce qui explique qu’il ne sert à rien de vouloir convaincre ceux qui ne les ont pas aimés de s’y intéresser. Tout au plus peut-on essayer de les inviter à les voir.

« Old joy » sort à l’Arenberg, dans le cadre de l’Ecran Total et pour 8 séances seulement.

Son action est inexistante, sa durée modeste (73 minutes), son interprétation plus soucieuse d’authenticité que de nominations aux Oscars, sa mise en scène humble - pas d’effets spéciaux, de dialogues brillants, de fatigante leçon de psychologie.

Ou de morale (y compris de morale politique) comme dans « Into the wild » de Sean Penn, avec lequel « Old joy » présente pourtant un important point de jonction : la nature.

La nature comme révélatrice des êtres à eux-mêmes, des mensonges consuméristes par lesquels la société veut berner ses contemporains. La nature présentée dans ses facettes indissociables : amicale et dangereuse.

Deux amis de longue date partent en randonnée, à la recherche d’une source que l’un connaît et dont il veut faire découvrir à l’autre ….

Découvrir quoi ? C’est justement cette interrogation qui, fil d’or de la balade, va nimber le film de mystères, de subtiles angoisses et d’émotions.

Devant la difficulté pour une amitié de jeunesse de survivre à l’entrée dans l’âge adulte lorsque les chemins divergent parce que chacun n’a pas nécessairement envie d’endosser le costume trois pièces (femme, travail, enfant) préparé par un mode de vie occidental qui n’a de sympathie pour
les marginaux que s’ils sont des personnages de livres (« On the road » de Kerouac ») ou de cinéma (« Macadam cowboy » de Schlesinger).

Nostalgie, désenchantement, peurs dites ou non dites de l’avenir qui de toute façon est incertain aussi bien pour celui qui a fait choix de se ranger que pour celui qui préfère la marge à la page.

Mélancolie du temps qui file et qui ne peut être retenu, dans sa course vers le néant, que par un moment de partage.

Qui, dans « Old joy » sera d’une intensité à la hauteur de sa brièveté. Qui rappelle que le bavardage, lorsqu’il n’est pas conversation d’âme à âme, éloigne plus qu’il ne réunit, que les lignes de fuite peuvent avoir un sens et un centre.

Moment de communion qui donne à la forêt dans laquelle s’enfoncent Kurt et Mark, les deux compagnons de route des résonances des temps mythiques où l’homme pouvait se croire seul au monde.

Ou des réverbérations de souvenirs d’enfance, lorsqu’ immergé dans la lecture de contes et légendes, on s’attend à voir surgir, des sous-bois ou des rivières, les esprits de ceux qui les habitent.

« Old joy » est une perle. De rosée. Fragile, irisée et dans laquelle se lit une lumière dont la simplicité naturelle se perd au contact des « city lights ».

On sort de l’Arenberg, le cœur barbouillé et les yeux plus clairs. Bien décidé si on a un chien - ou un poisson rouge - de le (re) baptiser « Lucy ». Pas à cause des Beatles mais de l’étymologie : lux.

Et de voir la tristesse sous un jour moins sombre, puisqu’elle est "le souvenir d’une joie passée".

Que Kelly Reichardt soit remerciée de nous avoir, sans nous tenir la main, mais en proposant de l’accompagner sur des troncs d’arbres et le long de cours d’eaux caillouteux, remis en mémoire les vers de Baudelaire « Là ou tout n’est que … calme et volupté ». (m.c.a)