Eva Birthistle, Jodhy May, Martin freeman
C’est peut-être la première fois dans son œuvre que Peter Greenaway traite de façon aussi directe du médium qui l’a originellement influencé : la peinture.
Car si on connait surtout Greenaway comme cinéaste, on oublie parfois qu’il est avant tout peintre et romancier. Il avait déjà traité de peintres de façon plutôt citationnelle, comme c’était le cas dans « The Draughtsman’s contrat », dont l’esthétique était influencée par les peintures de De La Tour et de Gainsborough.
Mais jamais, il n’avait poussé le syncrétisme au point de réaliser un film traitant directement d’un peintre, et même d’une toile en particulier.
« La ronde de nuit » de Rembrandt est ici le sujet central de ce film, mais on pourrait aussi dire qu’il est une sorte de prétexte pour pénétrer un milieu, la Hollande du 17ième siècle comme une vie, celle de l’artiste.
La réalisation de la toile est le point d’ancrage autour duquel gravitent une foule de protagonistes allant du peintre lui-même, aux sujets représentés en passant par la multitude de servants travaillant pour le maître.
C’est effectivement une foule, un groupe dilué que filme Greenaway. Ces personnages qui semblaient quelques secondes plus tôt être encore pétrifiés dans une des toiles de Rembrandt se retrouvent soudainement en mouvement, un mouvement souvent frénétique, qui les mènent d’un bout à l’autre de l’écran.
Le film se construit ainsi par une suite de tableaux animés. On retrouve l’esthétique du peintre, son travail de clair-obscur, son talent pour la composition, son choix de traiter de l’humanité dans toutes ses facettes, laides ou belles, dans chacune des images de « Nightwatching ».
On y reconnait aussi le goût qu’entretenait le peintre pour les autoportraits, puisqu’à plusieurs moments, Martin Freeman, incarnant Rembrandt, s’adresse au spectateur, en face caméra, dans une position qui imite celle d’un autoportrait.
Dans ces instants, il parle systématiquement de son intimité, de ses rapports avec ses diverses femmes, de la façon dont il les a rencontrées, dont il les a aimées, dont il les a perdues.
Si visuellement, le film est magnifique, insufflant de façon jouissive le mouvement dans les toiles de Rembrandt, la mise en scène en tant que telle est parfois usante.
Une fois de plus, et de façon plus que poussée, Greenaway crée un film où la théâtralité est amenée à son paroxysme. On pourrait même parler d’artificialité en ce qui concerne « La Ronde de Nuit », tant les décors se montrent faux, les mises en scènes construites.
Ce choix, s’il est évidemment motivé par l’attachement de l’auteur à la postmodernité et au goût du simulacre assumé de ce mouvement, est aussi de façon évidente liée à l’idée de mise en scène que cultivait Rembrandt lorsqu’il réalisait une toile. Le discours d’un critique commentant la toile qui clot le film ne fait que confirmer cette intuition.
Cependant, ce hiératisme théâtral entrave, rend désagréable le suivi du récit parce qu’il semble trop chorégraphié, trop apprêté, sans plus aucune spontanéité.
Un autre élément perturbant le suivi de « Nightwatching » est sa narration en soi. Il est en effet difficile de comprendre où le cinéaste veut en venir.
Plusieurs histoires s’entremêlent autour de la toile : c’est autant le mystère du meurtre planant sur la genèse de la toile, les pérégrinations amoureuse du peintre, ses problèmes d’argent qu’un arrière fond de vie plutôt noir en dehors des murs de la maison Rembrandt qui sont tout à la fois évoqués dans ce film.
Et si à ce niveau, on rejoint là aussi une thématique cher aux postmodernes qu’est le goût pour l’indétermination du sens, il reste néanmoins que ce foisonnement d’intrigues disparates nuisent au film lui-même.
C’est donc avec une impression en demi-teinte que l’on sort du dernier Greenaway. A mi chemin. Parce qu’il nous a habitués à des réalisations plus extrêmes, peut-être plus difficiles d’abord, mais plus abouties.
Avec « Ronde de nuit », le cinéaste propose un film aux apparences plus classiques.
On le préférait complexe, extravagant et innovant. (Justine Gustin)