Duo ou face à face
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Coup de coeurNE TE RETOURNE PAS

Marina De Van (France)

Sophie Marceau, Monica Bellucci, Andrea Di Stefano, Brigitte Catillon...

111 min.
24 juin 2009
NE TE RETOURNE PAS

L’image est annonciatrice ; celle d’une femme, dont le reflet est fragmenté par les miroirs carrés de sa salle de bain, chaque partie de son corps (oeil, coude, jambe, dos) découpée, tailladée, en autant de cristaux à recomposer en une seule pierre. Il faut attendre la fin du générique et le lieu suivant pour découvrir le visage tendu et pensif de Jeanne (Sophie Marceau), assise dans la salle d’attente d’un éditeur qui lui refusera un manuscrit écrit sur son enfance. Pas de sensations, que des descriptions, froides selon lui, brillamment taillées mais sans âme qui conviennent lorsqu’elle croque la vie des autres mais pas la sienne.

Et pour cause, la jeune femme, épouse, mère de deux enfants et biographe professionnelle, souffre d’un traumatisme refoulé qui lui barre obstinément la route de sa mémoire tactile, physique et de sa véritable identité. Au sortir de chez l’éditeur, c’est le vertige qui la saisit, accentué par la vision de l’accident d’une petite fille, déjà insidieusement entr’aperçue chez l’éditeur et violemment renversée par une voiture. Le parcours du personnage prend alors la tangente d’un vertige permanent, d’une longue et lancinante descente aux enfers, toute faite de sensations cette fois, vers la révélation du refoulé. Tout se dérègle, dans cette application du ‘unheimlich’ freudien où le familier devient inéluctablement étrange : progressivement, les objets, les meubles, le mari, les enfants, les photographies, les rues lui mentent obstinément sur ce qu’elle croyait être son monde, jusqu’à ce que l’héroïne elle-même, dernier maillon du processus, devienne « étrangère à elle-même » pour paraphraser Julia Kristeva.


Ce parcours introspectif n’est pas neuf chez Marina De Van. Actrice, co-scénariste de François Ozon à ses débuts, elle avait, dans son premier opus intitulé "Dans ma peau" (2001), offert une sublime et sanglante/déchirante découverte de son personnage (interprété par ses soins) face au mystère de sa peau - victime d’une entaille au début du film, la jeune femme n’avait de cesse que d’ouvrir la plaie, se tailladant et se perdant dans l’obsession de ce que son corps couvrait, lui cachait et qu’elle ne connaissait pas. D’une justesse absolue, le déchirement de la peau trouvait là son équivalent dans le déchirement filmique et stylistique du split screen.


Dans un film au titre symbolique et conatif (un ‘presque hommage’ semble-t-il au Don’t look now de Nicholas Roeg), De Van revient à cette (dé)monstration de ce qui est caché, refoulé, ’sous la peau’, nous offrant le processus de la découverte par le biais du corps qui, par transformations, mutations, porte au jour ce qu’il est réellement. Elle se joue du physique de ses actrices magnifiques, qui se laissent brillamment travailler comme de la terre glaise : Sophie Marceau, au prix d’effets spéciaux souvent déstabilisants d’étrangeté, devient alors Monica Bellucci, son ‘autre’, celle cachée dans son miroir, qui découvrira les arcanes du trauma enfin révélé lors d’un voyage en Italie.


Nous sommes ici dans la représentation grotesque, dans l’idée que ce qui est déformé provoque à la fois un sentiment de ridicule et d’effroi ; c’est la psyché qui exhibe ses cicatrices par le corps, qui éructe, se contorsionne, se retourne pour mieux révéler l’autre face. De Van opte pour le sens visible de la révélation du refoulé originel, son éclatement aveuglant à l’écran, même si ce dernier est attendu, presque délibérément explicite, trop vite mis en place par une narration aux ficelles un peu lourdes et parfois un peu longues.


Ce qui importe, ce n’est pas que le film soit parfaitement réussi ou non, dans cette articulation inéluctable qui glisse d’une actrice à une autre, unissant les visages, déconstruisant les corps dans une temporalité qui ne s’envisage que dans la subjectivité de la transformation. Ce qui compte, c’est qu’une fois encore De Van a trouvé le style, en travaillant la matière filmique elle-même, pour proposer au spectateur ce qui personne d’autre n’avait pensé à faire en dehors des lois du genre des films d’horreur, dans une magnifique traduction de la perspective cinématographique : se retourner, ouvrir les yeux et donner à voir ce/ceux qui se cachent en nous, littéralement .

Muriel Andrin, Université Libre de Bruxelles