Pauline Acquart, Louise Blachère, Adèle Haenel
Pour célébrer les 60 ans du festival de Cannes, il a été proposé à trente cinq cinéastes d’animer une variation de 3 minutes sur un thème imposé : la salle de cinéma. Peu de monde semble s’être étonné du fait que sur ces trente-cinq mini métrages, trente-quatre soient l’œuvre de réalisateurs. Jane Campion étant à elle seule chargée de représenter l’égalité des sexes…
Dans « Naissance des pieuvres » ce sont les garçons qui sont inexistants… et passablement idiots.
Premier essai d’une jeune femme de 27 ans et première réussite, « Naissance… » est un film qui, contrairement aux céphalopodes, n’est ni mou, ni tentaculaire. Il se développe au contraire autour d’un axe bien maîtrisé, voire synchronisé comme la danse que pratiquent, dans un club de natation, trois jeunes filles d’une quinzaine d’années.
Marie, Floriane et Anne. Chacune confrontée à cette période délicate de l’adolescence qui balance, loin du monde des adultes volontairement gommés du scénario, entre moiteurs et désirs, entre innocence et trouble, entre homo et hétérosexualité.
Les films intéressants tournent autour d’une idée intéressante. Celle de « Naissance… » est d’avoir choisi comme lieu d’action, non pas les sempiternels lycée ou famille de préférence dysfonctionnelle mais une piscine communale (*) et ses annexes : vestiaires et douches qui permettent aux corps de se voir, de s’apprécier, de séduire.
Et plus encore d’entrer dans le jeu de ce qui devient la prison féminine par excellence : la mascarade. Celle qui oblige à porter beau et à sourire sans faire état des efforts ou des souffrances sur lesquels reposent cette apparence d’aisance maîtrisée. Ce que symbolise la nage dansée qui se focalise sur les visages maquillés des pratiquantes, laissant, occultés dans l’eau, remous et battements de pieds.
L’adolescence est un trésor ou un enfer en raison des émotions fortes, incontrôlables et audacieuses qu’elle suscite. Donner forme à ce magma désordonné, tout en restant dans une intelligence de mise en scène et de narration, n’est pas évident. Catherine Breillat « A ma sœur » (**), Noémie Lvovsky « La vie ne me fait pas peur » et Lola Doillon « Et toi, t’es sur qui ? » y sont parvenues.
Céline Sciamma a rejoint ce trio en réussissant le pari de faire un film qui soit à la fois charnel, traditionnel et rebelle. Qui, loin des clichés (***) des teen movies , aborde, avec justesse jusque et y compris ses scènes les plus « déflorantes », ce cap Horn de la vie de jeunes filles en train de se découvrir papillons sans cesser d’être chrysalides.
La réalisatrice est formidablement épaulée dans son projet par des actrices épatantes dans leur capacité à incarner une moderne idée de la féminité en devenir. Toujours à la recherche d’un équilibre (de lignes et de mouvements) comme dans « Le printemps » de Botticelli, mais avec en surcroît une pincée d’ambiguïté (coexistentielle à la découverte du plaisir ?) comme dans les plus déconcertants Balthus (m.c.a)
(*) comme dans l’étrange "Deep end" de Jerzy Skolimowski
(**) entre autres et aussi « Une vraie jeune fille » et « 36 fillette »
(***) et de la tchat pubertaire à laquelle la cinéaste a préféré substituer une bande son très inspirée composée par Para One, ce musicien du groupe TTC, qui place ses résonnances musicales sous le signe de la rencontre entre hip hop et électronique.