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MUNYURANGABO

Lee Isaac Chung (USA 2007 - distributeur: Brunbro)

Rutagengwa Josef, Ndorunkundiye Eric

97 min.
21 mai 2008
MUNYURANGABO

S’il est permis, parfois, de douter de la pertinence du choix des films sélectionnés pour le Festival de Cannes, il arrive aussi de trouver que non seulement leur programmation va de soi mais que le choix de la section dans laquelle ils sont projetés est en étroite symbiose avec leur propos.

Ainsi ce premier film d’un jeune réalisateur d’origine coréen, émigré aux Etats-Unis, nominé à Cannes 2007 dans la catégorie « Un certain regard » qui, loin des paillettes de la compétition officielle, propose un cinéma plus atypique.

Centré sur une réflexion personnelle qui peut être polémique (*) sur un sujet choc et sensible ainsi que le reflète la liste des films primés ces dernières années : en 2004 « Moolade » d’Ousmane Sembene, en 2005 « La mort de Dante Lazarescu » de Cristi Piu, en 2007 « California dreamin’ » de Christian Nemescu.

Seize ans après le génocide, deux jeunes garçons effectuent un voyage de Kigali au centre du Rwanda. Munyurangabo est tutsi et mû par le désir de venger la mort de son père, Sangwa est hutu. Une amitié est-elle possible entre ces adolescents marqués par la haine des ethnies qu’ils représentent ?

Ce thème de la réécriture d’un présent et d’un avenir impossibles s’ils ne transcendent pas les souvenirs d’un passé assassin parcourt, avec intelligence et sobriété, ce film qui touche parce que, loin des fictions reconstitutives d’une réalité historique - « Shooting dogs » de Michael Caton-Jones, « Hotel Rwanda » de Terry George - il aborde simplement, sans recherche d’effet dramatique ou tentative d’explication, la question des traces laissées par un désastre sur ceux qui l’ont vécu.

Mû par une quête d’authenticité, faite à la fois de proximité avec les personnages et de mise à distance de toute émotion intempestive, le réalisateur évoque les délicates questions de pardon et de tolérance.

« Munyurangabo » possède un rythme propre. Un rythme intérieur, lent auquel contribuent de nombreux plans fixes, des silences, des références bibliques avouées, des paroles de fraternité slamées en kyniarwanda (***).

Pour éviter que certaines blessures mal refermées ne deviennent des chéloïdes, il faut agir. En déposant la machette dérobée pour se venger.

Privilégier l’apaisement à la vindicte est un chemin qui n’est pas facile - comme celui d’accepter de porter sans l’incarner, un prénom - Munyurangabo - qui signifie le « guerrier ».

Mais existe-t-il une alternative à la difficulté de vivre ensemble ?

Si la réponse de Lee Isaac Chung, par sa négative, renvoie à la parabole de l’absolution dessinée par le tchadien Mahamat-Saleh Haroun dans « Daratt », elle éclaire avec une délicate acuité une volonté humaniste dont beaucoup de tribus, ethnies ou pays en guerre devraient s’inspirer.

L’ancrage du film dans une campagne abîmée par les secousses non encore apaisées d’un conflit
dont certains vieux professent l’inexigibilité - "Les Hutus et les Tutsis ne pourront jamais s’entendre" - donne au propos une insolite sérénité.

Parce que jamais définitivement acquise, mais toujours à réinventer.

Une très intéressante interview du réalisateur est proposée sur le site suivant : http://theeveningclass.blogspot.com/2007/09/2007-tiff-munyurangabo-evening-class.html

Signalons la sortie en deux albums BD parus aux éditions Albin Michel et le Vent des Savanes d’une histoire de ce génocide :"Rwanda 1994" avec au scénario Cécile Greniez et Alain Austini. Aux planches : Pat Masioni. (m.c.a)

(*) Comme le « Johnny Mad Dog » de Jean-Stéphane Sauvaire sélectionné cette année et qui raconte l’errance d’enfants soldats au cours d’une guerre civile dans un pays d’Afrique non précisé.
(**) Le Livre l’Esaïe
(***) La langue nationale du Rwanda.