Docu-drame
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MODUS OPERANDI

Hughes Lanneau (Belgique 2007)

des témoignages et des archives

98 min.
5 mars 2008
MODUS OPERANDI

Pendant que Saul Friedländer travaillait à son œuvre-somme ayant pour thème l’élimination des Juifs par le nazisme ou le "comment ?" de l’holocauste, (*)

que « Les bienveillantes » de Jonathan Littell sortaient en France en livre de poche et en Allemagne en traduction

que Mathieu Amalric s’interrogeait, dans le film de Nicolas Klotz « La question humaine » sur la portée de la note technique de 1942

le journaliste Hughes Lanneau mettait la dernière main à un documentaire (**), sobre et sec comme une démonstration géométrique, sur la mise en place du processus qui a permis en Belgique de déporter, de 1942 à 1944, 24.916 Juifs vers Auschwitz. Dont seulement 1.206 reviendront.

Fidèle à sa démarche éloignée de toute envie de coup médiatique mais empreinte d’une volonté de parole mesurée, Hughes Lanneau s’est penché, avec une méticulosité professionnelle rare que n’hypothèque aucun débordement émotionnel ou exploitation d’images-choc, sur un sujet grave.

Qui aujourd’hui encore interpelle les consciences de tous ceux qui savent que l’Histoire ne les met jamais à l’abri d’une répétition.

A l’aide de documents archivés, de témoignages réalisés pour la télévision, et de photos des disparus qui donnent au déplié narratif de ce documentaire son poids lourd de tragique, le réalisateur va s’intéresser à un fait historique et à l’implacable cheminement qui a permis sa mise en forme.

Par une série d’étapes qui, progressivement, encerclent - et parfois avec sa dérangeante complicité - une partie de la population juive dans une spirale administrative dont la seule finalité est de l’amener sur des quais de gares en route vers un voyage dont le terminus est un autre nom pour solution finale.

Sans jugement, sans complaisance et avec peu de larmes - taries sans doute chez les témoins par un chagrin trop profond – « Modus.. » raconte en neuf étapes, comme si elles étaient les marches d’un escalier vers la mort, l’implication et la collaboration des Institutions belges à la volonté exterminatrice de l’occupant.

La belle voix de Marthe Keller souligne, par son équilibre maîtrisé, l’inexcusabilité des pouvoirs publics nationaux et apporte en même temps à cette entreprise de destruction sciemment élaborée sa part de troublante vérité humaine.

Puisque la plupart des collaborants prétextent à leur décharge qu’ils ont agi sous la contrainte « d’un moindre mal ».

Depuis les temps bibliques et le récit que l’évangéliste Matthieu rapporte du massacre des Innocents commandité par Hérode, le gouverneur de Judée, il n’est pas certain que le mot évolution ait un sens.

 
Le 22 mars 2008 sur la RTBF Deux, Philippe Reynaert, autour d’un hommage à Henri Storck, consacrera un « Envers de l’écran » aux documentaristes belges. Est annoncé sur le plateau Hughes Lanneau.

Le site du film est particulièrement réussi – www.film-modusoperandi.be
Une interview du réalisateur est disponible sur le site www.cinergie.be . (m.c.a)

(*) "Les années de persécution (1933-1939)" et "Les années d’extermination (1939-1945)" parues aux éditions du « Seuil »
(**) Dont le titre « Modus operandi » est un écho voulu et choisi à une expression utilisée pour décrire un mode de fonctionnement typique d’un criminel.