Docu-fiction
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MITRA

Jorge Leon

Mitra Kadivar, Claron McFadden, Eva Reiter…

80 min.
14 novembre 2018
MITRA

Dernier film documentaire de Jorge Leon, « Mitra » nous introduit dans le monde fermé de la psychiatrie par le biais de la tragédie qu’a vécu Mitra Kadivar, psychanalyste iranienne internée à tort dans un hôpital psychiatrique de Téhéran en 2012. Persécutée, Mitra s’adresse par courriel à Jacques-Alain Miller, fondateur de l’Association Mondiale de Psychanalyse, lui demandant son aide. Une correspondance de plusieurs lettres s’ensuit. Publiée sur internet*, cette correspondance arrive jusqu’à Jorge Leon, qui, bouleversé par sa lecture, décide d’en faire un film.

Ce n’est pas tant l’histoire de Mitra qui nous est contée, mais celle-ci sert de point de départ pour suivre un processus créatif, notamment celui de la création artistique d’une équipe de théâtre qui s’approprie l’histoire de Mitra.
L’échange d’e-mails entre Mitra et Jacques-Alain Miller est au cœur de ce processus et la lecture des lettres, tantôt récitées par Mitra elle-même, son avocat et ses étudiants à Téhéran, tantôt chantées par une soliste et un chœur qui leur donnent une dimension lyrique et universelle, place la parole au premier rang.

Comme surgie d’une tragédie de l’Antiquité, Mitra, dont l’usage de la parole est d’une exactitude aussi fascinante que l’est sa présence physique, impérieuse, donne voix à la profonde solitude qu’elle a éprouvé lorsque, accusée de folie, elle avait quitté la communauté des humains.

Jorge Leon a voulu trouver un écho aux questions soulevées par Mitra dans un environnement qui lui était plus familier, en Occident. Avec l’équipe de théâtre et l’ensemble musical, il est allé s’imprégner de la réalité de l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix-en-Provence, au sud de la France, où les résidents se sont approprié à leur tour le récit de Mitra. Le cinéaste explique, qu’il a été touché et interpellé par la grande capacité de parler d’eux-mêmes par des personnes qui sont souvent « parlées », c’est-à-dire que l’on parle d’elles. D’où l’importance d’entendre leur parole et d’établir un lien entre le cinéma et le milieu assez fermé qu’est celui d’un hôpital psychiatrique.

Si, à la base, l’idée d’un opéra était un prétexte au film, le déploiement des moyens et le travail avec l’ensemble musical « Ictus », dirigé par Eva Reiter, le chœur « MMAcademy » et l’incroyable soliste Claron McFadden, a donné lieu à deux créations qui se sont construites en parallèle : un film polyphonique et une performance.**

Film choral, film dans le film, qui se filme en train de se faire, « Mitra » étonne par sa facture hybride, où la bande son, avec la parole, le chant et la musique, semble prendre le dessus sur l’image. Pourtant, une fois n’est pas coutume, et, comme dans son précédent film « Before we go », les mouvements de caméra, le choix des plans et le montage font ressembler le film de Jorge Leon davantage à une chorégraphie qu’à un film documentaire classique. Si le film est dur à voir, car on y rencontre des personnes face à l’injustice, l’incompréhension, l’effondrement psychique, la souffrance et la solitude, il est également plein d’un élan vital lié à création artistique.

Luz

* Sur le site lacanquotidien.fr
** Une 1ère représentation a préexisté au film, lors du « Kunstenfestivaldesarts » de 2018