Coup de coeur mensuel
4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s)

MADE IN DANGENHAM (selon AJ)

Nigel Cole

Sally Hawkins, Bob Hoskins, Geraldine James, Rosamund Pike, Miranda Richardson, Daniel Mays…

113 min.
9 mars 2011
MADE IN DANGENHAM (selon AJ)

Voici le quatrième film de Nigel Cole, à qui l’on doit les films « Saving Grace » (2000), "Calendar Girls" (2003) et « A lot Like Love » (« Sept ans de séduction », 2005) et dans lequel on retrouve une thématique centrale de sa filmographie, la place de la femme dans nos sociétés.

Cette œuvre, peut-être un peu classique dans sa mise en scène (cependant, à mon sens, le cinéma ne doit pas forcément passer par le lourd et le tragique pour délivrer de précieux messages encourageant l’action et le changement), devient véritablement explosive de saveurs sur le plan de l’interprétation. Trop rarement, autant d’acteurs et d’actrices aux palettes de jeu riches et multiples se trouvent ainsi réunis dans une seule et même œuvre. Sans cette force, le film passerait sans doute à côté de son sujet. Mais ce casting quatre étoiles porte et transcende son sujet par la force qu’il insuffle dans chaque souffle retenu, chaque parole prononcée à mi-voix.

Rita O’Grady est un petit bout de femme qui va provoquer un véritable déluge sur la scène politique anglaise. D’un corps si frêle, d’une carrure étroite, presque fragile, émane autant de bravoure et de sens de la droiture que d’un bataillon entier de soldats gonflés à bloc. Rita a une force de caractère digne des plus grands meneurs.

En 1968, dans l’usine Ford de Dagenham, elle va rassembler à elle seule les 187 mécaniciennes de l’usine, premières femmes à se mobiliser en grève pour protester contre un salaire outrageusement amputé d’une moitié de sa valeur sur celui de leurs compagnons d’armes ouvriers mâles. Cette action mena quelques années plus tard à l’adoption au niveau légal de lois rétablissant l’équité : à travail égal, salaire égal pour les hommes et les femmes (en théorie du moins).

La grande dame de ce film, Sally Hawkins, offre à nouveau une finesse de jeu délicieuse, devenant ce bout de femme que rien ni personne n’arrête. Toute en nuance, son interprétation est à la fois poignante et inspirante. Autour d’elle, des actrices de talent, et de poigne aurait-on envie de dire, se trouvent réunies : Geraldine James en amie et femme touchée par le drame se relevant courageusement à chaque épreuve ; Rosamund Pike, déjà épatante dans « An Education » (Lone Scherfig, 2009), en épouse de la classe sociale supérieure, silencieusement mais fièrement et droitement indignée face aux schémas dont elle subit, elle aussi, les retombées ; Miranda Richardson en Barbara Castle, une femme ministre de pouvoir sans qui les évènements auraient pris un tout autre court. Andrea Riseborough et Jaime Winstone sont chacune succulente de culot et de charme dans les rôles secondaires des travailleuses.

Du côté du casting masculin, les talentueux Bob Hoskins et Daniel Mays livrent une prestation de choix : le premier en leader syndical défenseur des droits de ces femmes, seul allié masculin au premier plan de cette armée de femmes ; le second en époux combattant ses propres limitations de pensée.

Car c’est justement et le plus sûrement de cela dont il s’agit dans ce film : de la manière de penser dont s’accommode parfois tout un peuple. Il est question de ces valeurs assimilées et désormais acceptées comme des vérités, des réalités, dans une société. Autant de « la vie c’est comme cela » que vont remettre en question, chacune à la mesure de leur combat, les protagonistes de cette guerre pacifique menée avec un grand sens du juste.

Le film aborde également la question de mettre des mots sur une réalité, de la prise de conscience du refus des schémas de pensées assimilés par certains à un comportement honorable et respectueux, alors qu’il ne s’agit que d’un élan légitime auquel chacun a le droit de prétendre. C’est aussi la question de la capacité à se révolter, à légitimer sa pensée, même si cette dernière se trouve isolée et parfois menacée d’engloutissement par une majorité écrasante.

Ce combat de femmes de protestation contre la discrimination salariale est une bataille qui n’est toujours pas gagnée à l’heure actuelle, certes. Mais elle va au-delà de cette unique problématique, elle rayonne sur tout un pan de remises en question possibles devant les acceptations de ce que chacun est en droit d’espérer pour sa propre existence.

Cette confrontation douce mais implacable nous rappelle peut-être aussi que sans personne pour lever les bras et protester pour la reconnaissance de son apport au monde, aucune révolution n’éclot. Et ce film donne envie de ré-entreprendre, d’entamer des changements à petite et à grande échelle, selon son pouvoir d’action dans la société. Que demander de plus grand au cinéma, aux interprètes, que ce merveilleux cadeau d’emmener son spectateur vers l’envie de braver le confort et la sécurité pour, simplement et grandement, changer le monde. (Ariane Jauniaux)