Tony Leung, Tang Wei, Joan Chen
Il y a des films que l’on déteste violemment. Violemment et impulsivement. D’une impulsivité aussi instinctive que rationnelle. Et ce pour des motifs qui relèvent tout autant de la restriction du « malgré » que de la justification du « parce que ».
Les deux motivations pouvant à la fois se chevaucher ou s’épauler pour converger vers la même vigilance suggérant au spectateur de ne pas recevoir, avec la passivité habituelle du regardeur d’images, un film plus problématique qu’il n’y paraît.
Dans la Chine des années 1940 occupée en partie par le Japon, un groupe d’étudiants décide de résister à l’ennemi. La jeune Wong est chargée de séduire, pour le piéger, l’un des chefs de la collaboration, Mr. Yee.
Malgré
* son brio à restituer l’ambiance d’une époque, en accordant un soin extrême aux décors, aux maquillages, aux costumes, aux objets du quotidien - le seul bémol étant une bande son cuistrement présente heureusement compensée par une bande couleurs à la riche fluidité tantôt terreuse ou bleutée tantôt ivoire ou nacrée
* son ingénieux sens du savoir-filmer
* son intéressant imaginaire sexuel qui l’amène à solliciter de ses personnages quelques acrobaties, in vivo paraît-il, qui font des corps d’aussi jolies compositions que les arrangements floraux ou Ikebanas de l’ennemi
* ses excellents acteurs et leur générosité à œuvrer, morphologies et âmes unies, aux intentions du réalisateur
* la mention d’application méritée par Wong qui, par le miracle d’une méthode aussi rapide et efficace que celle de Suzuki pour le piano, maîtrise en quelques heures, pour ne pas l’oublier malgré une pause de quelques années, la gamme vivifiante du Kamasutra
« Lust, caution » au mieux déçoit, au pire insupporte
Parce qu’il
* repose sur le détournement, par le recours à une esthétique minutieusement peaufinée, d’une tension dramatique. Qui à force d’inscrire celle-ci dans un jeu de chat et de souris circonscrit le récit à une improbable anecdote passionnelle entre deux individus dont l’un, et il convient de ne jamais l’oublier, est une parfaite crapule. Comme l’était le nazi avec lequel une jeune résistante juive entretient une relation dans le « Zwartboek » de Paul Verhoeven
Personne, je suppose et je l’espère, ne serait intéressé par la vie intime d’un avatar de Klaus Barbie. Pourquoi essayer qu’il en soit autrement pour celui qui, à Shanghai, a le même profil de tortionnaire ?
* tente de présenter comme reflets d’émois conflictuels des atermoiements qui se soldent par la forfaiture irresponsable d’une jeune fille qui, comme Judas pour 30 deniers, laisse sa loyauté fondre pour un diamant jaune - couleur de la traîtrise - fut-il le reflet du sentiment inexprimé de son amant à son égard
* décrit avec un académisme et une prudence inappropriés aux enjeux d’un pays occupé une relation tissée de faux semblants et de sado masochisme en la dédouanant de toute prise de position politique ou morale. Ce qui n’était pas le cas de l’interpellant « Lucien Lacombe » de Louis Malle
* résume, après une mise en place inutilement longue et avec un regrettable sens de la confusion, les années parmi les plus douloureuses d’un pays à un rapprochement épidermique
* n’absout pas, par sa maîtrise formelle, un fond mêlant ambiguïté, complaisance et voyeurisme
Alors « Lust, caution » devient « Lust, detestation ».
Le film a reçu, à Venise, le Lion d’Or 2007. Il est inspiré d’un écrit d’Eileen Chang, la Jane Austen chinoise selon les critiques, paru chez Robert Laffont, sous le titre de « Dangereuse volupté ». (m.c.a)