Lou Reed, Antony, Emmanuelle Seigner
La première partie de la décennie 1970 est musicalement faste. En albums qui racontent, au fil de leurs plages, une histoire. Essayant ainsi d’apporter par leurs trames narratives construites comme des livrets d’opéra une cohérence à la musique pop(ulaire).
En 1971 c’est en France Serge Gainsbourg et « Melody Nelson » suivie en 1975 de son non moins étonnant « L’homme à tête de chou ».
En 1972 c’est en Angleterre David Bowie et son glamorous « Rise and fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars ».
En 1973 à New York c’est Lou Reed et son trash « Berlin ». Conte noir sur le couple, la drogue et la mort et conte maudit puisque blessé par la réaction glaciale des critiques, son auteur décidera de ne jamais le jouer en concert.
« Bien fol qui s’y fie » puisqu’en 2006, il change d’avis et décide de présenter son ouvrage pour cinq soirs au St Ann’s Warehouse de Brooklyn.
Et justement Julian Schnabel passait par là. Normal, me direz-vous, puisqu’il est l’un des instigateurs du retournement de la décision prise par le chanteur.
Non pas le Schnabel affecté et insupportable du « Le Scaphandre et le papillon » mais le réalisateur à la sensibilité artistique affûtée sachant tirer d’une vie de poète - Reinaldo Arenas dans « When night falls » - ou de peintre - « Basquiat » - les moments à immortaliser.
« Berlin » c’est le récit dans une ville dure, violente, coupée en deux par un mur dont on n’imaginait qu’il tomberait un jour, d’une relation entre deux êtres englués dans la jalousie et l’auto destruction.
C’est aussi et surtout le rappel imaginaire d’une époque où le rock était teinté des couleurs de la Factory, des audaces de John Cale - le cofondateur du mythique Velvet Underground - et des ombres d’une désillusion face à un monde réel sur lequel butent ceux qui « Walk on the wild side ».
Sur l’écran un Lou Reed magique et énigmatique. Austère, presque raide (malgré une pratique paraît-il régulière du tai-chi), profondément ridé, à la voix toujours calcinée et ennvoûtante.
Esquissant de temps en temps un sourire qui le rend poignant pour qui se souvient de son passé zigzaguant entre méthédrine, parano et tentatives de suicide.
Lorsqu’il entame, en dernier morceau, un « Sweet Jane » vidé des chœurs (*), orchestration cuivrée et surimpression d’images (**) qui encombraient l’écran, l’on se prend à penser que le rock est une affaire de cœurs. Entre ceux qui le jouent et ceux qui l’écoutent.
Quand les deux se rencontrent, l’énergie circule, reflet d’une communion. Brève mais incandescente.
Lou Reed sera le 28 juin 2008 à Paris pour y présenter "Berlin" à ... Pleyel. Une reconnaissance - un adoubement ? - du musicien classique qui cohabite avec le rocker ? (m.c.a)
(*) Parmi lesquels se distingue une voix, convulsive, surnaturelle et secrète. Celle d’Antony, un jeune chanteur anglais vivant à New York et dont l’album « The lake » doit beaucoup à l’aval de Lou Reed.
(**) Qui sont des toiles de Schnabel himself ou d’agaçantes apparitions d’une Emmanuelle Seigner
méchamment artificielle.