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LOS VIAJES DEL VENTO

Ciro Cuerra (Colombie 2010)

Erminia Martinez, Carmen Molina, Marciano Martinez,Yull Nunez

117 min.
11 mai 2011
LOS VIAJES DEL VENTO

Diabolus in musica. 

Une légende andine (*) raconte qu’un accordéoniste a provoqué le diable en duel et l’a battu.

Dans « Los viajes… » Ignacio (**) est fatigué. Fatigué et triste. Il vient de perdre son épouse et décide de mettre fin à sa carrière de musicien ambulant.

Il entreprend en compagnie d’un jeune homme, qui devient peu à peu un disciple, un voyage lent et beau à travers les régions du Nord de la Colombie pour rendre l’accordéon qui l’a accompagné toute sa vie à celui qui fut son professeur et mentor.

Film de genre, le road movie, « Los viajes… » est surtout un regard un peu brouillon et exagérément lent et long posé sur un moment de la vie de deux hommes séparés par l’âge et l’expérience mais amenés à parcourir ensemble, sans autre nécessité que celle d’un signifiant hasard, de splendides régions en lisière des Andes

De traversée, il en était déjà question dans le premier film, « La sombra del caminante », de ce réalisateur à peine trentenaire. Traversée d’une situation économique difficile par un homme privé de travail suite à un accident.

Et déjà dans ce premier opus se profilait une faiblesse qui devient dans « Los viajes… » un handicap : la dilution d’un propos intéressant dans un manque de consistance scénaristique qui finit par susciter chez les personnages de la fiction du relâchement et de la répétition et chez le spectateur de l’ennui.

Et pourtant les thèmes esquissés ne manquaient pas de potentiel : le processus créatif, les sacrifices qu’il exige sur le plan de la vie privée, la part du hasard dans toute entreprise humaine, le fait qu’il n’y ait pas de meilleur trampoline que l’amour pour rebondir lorsque l’on croit sa vie finie.

Si le fond pèche par excès de linéarité narrative, la forme est elle somptueuse.

Valorisés par des formats panoramiques à la John Ford ou à la Terrence Malick, les paysages donnent à voir et même à ressentir ce quelque chose de mystérieux qui se tisse entre ceux qui les habitent et la Nature.

Façonnant ainsi avec une rudesse tantôt tendre tantôt sauvage la relation entretenue par les paysans de ces bouts du Monde avec une musique vécue à la fois comme objet d’une compétition proche du combat - on est ici bien loin du cérémonial protocolaire du concours Reine Elisabeth - comme rappel mélancolique d’un passé enfui ou comme promesse d’une aube qui dévoile peu à peu son énergie.

Il y a quelque chose d’un chemin initiatique dans ces « Viajes… ». On aurait juste aimé que ce « work in progress » soit moins démonstratif et saturé de clichés qui finissent par plomber le plaisir de voyager qui sommeille en chaque spectateur.

Plaisir qui aurait pu être juste porté par une formidable bande-son dont la force vient d’un partage équilibré entre une musique originale d’Ivan Campo et des chants populaires mis en valeur par la voix âpre et lancinante d’Ignacio Carillo

Diabolus in musica. Vraiment ?

Ou Deus in musica. Finalement.

Un peu des deux sans doute.

Pour ceux qui aiment l’idée d’un accordéon fédérateur d’histoires, rappelons qu’Annie Proulx (à laquelle on doit l’histoire de « Brokeback Mountain » d’Ang Lee) a écrit un magnifique ouvrage « Les crimes de l’accordéon » paru en poche.

Qui raconte avec une puissance que n’a pas le film de Cuerra combien la musique qui sort de ce qu’on appelle « le piano du pauvre » peut aider à unir les cœurs et à sauver du désespoir. (mca) 

(*) la même n’existe-elle pas dans les Balkans ?
(**) interprété par Marciano Martinez un très célèbre accordéoniste colombien