Misagh Zare Iman, Soheila Golestani Najmeh, Mahsa Rostami Rezvan, Setareh Maleki Sana, Niousha Akhshi Sadaf, Reza Akhlaghirad Ghaderi
Un énorme coup de poing, un très grand film, essentiel, qui, lors du Festival de Cannes en mai 2024, a tenu debout pendant vingt minutes dans la grande salle Louis Lumière du Palais, 2300 personnes, dont certaines comme moi, en pleurs, face au cinéaste qui a déclaré « Mon peuple vit chaque jour sous un régime qui l’a pris en otage ».
En début de film qui est une charge politique contre la dictature, une phrase sur le symbole du figuier sauvage dont les graines font surgir de nouvelles branches qui enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle :
Téhéran, automne 2022, un mouvement de protestation et d’émeutes sans précédent secoue la ville et le pays après l’assassinat de Jina Mahsa Amini, en septembre 2022 par la police de mœurs qui l’estimait incorrectement voilée. La révolte gagne l’université où les étudiants défilent pancartes à la main scandant notamment « Femme ! Vie ! Liberté ! », « Mort au Dictateur ». La répression est sanglante.
C’est sur cette toile fond que le film nous plonge dans le quotidien d’une famille « bourgeoise » de Téhéran : le père, Iman (Misagh Zare) vient d’être promu juge d’instruction du tribunal révolutionnaire, la mère Najmeh ( Mahsa Rostami) est attachée au statut social et avantages matériels que va représenter cette promotion tandis que les deux filles, Sana (Setareh Maleki) collégienne et Rezvan (Mahsa Rostami) étudiante, vont être mêlées aux révoltes à l’université et les soutenir.
La révolte envahit aussi la famille opposant l’autoritarisme du père (le pouvoir dictatorial) à la rébellion de ses filles (la jeunesse iranienne) bientôt rejointes par la mère (ceux qui s’accommodaient de ce régime) : ce huis clos familial est en fait la métaphore de l état de la situation en Iran , prétexte à une critique subtile des comportements que l’oppression de ce régime peut provoquer : soumission, compromission, révolte. A travers cette cellule familiale c’est aussi l’image d’une quête d’émancipation symbolisée par le courage de la jeunesse et des femmes qui osent défier le régime. "Quand le mouvement ’Femme, vie, liberté’ a débuté, je me trouvais en prison. Ça a été une expérience unique d’essayer de suivre depuis l’intérieur les évolutions de la société", raconte Mohammad Rasoulof, affirmant avoir été "stupéfait de la portée des protestations et du courage des femmes".
Ce film est exceptionnel par sa construction, alternant scènes de huis clos, scènes de manifestations et répression filmées sur les gsm, pour basculer à la fin sur des scènes de quasi western dans le désert où la poursuite désordonnée du père (Iman signifiant le foi) symbolise la fureur imbécile du régime des mollah aux abois.
L’écriture est saisissante, la mise en scène puissante, la direction d’acteurs incroyable (pour la plus part inconnus suite au refus de certains de tourner par peur des représailles).
Ce film est enfin un exploit : qui, parmi les spectateurs, saura que ce film a été conçu en prison, tourné dans la clandestinité et monté au final durant le voyage d’exil de Mohammad Rasoulof à travers les montagnes ? Car, sous le coup d’une condamnation à huit ans de prison dont cinq applicables, assortie de coup de fouet pour « collusion contre la sécurité nationale » le réalisateur a fui clandestinement son pays (à pieds) en mai 2024. Le 12 mai, il annonce qu’il est parvenu à fuir et le 24 mai, il est à Cannes pour présenter son film, brandissant les photos de ses 2 collaborateurs qui n’ont pas pu fuir le pays. Les trois actrices, Niousha Akhshi, Mahsa Rostami et Setareh Maleki , elles, ont dû fuir précipitamment l’Iran, laissant leurs familles derrière elles. Elles vivent aujourd’hui à Berlin.
A Cannes en mai 2024, les graines du mouvement iranien » Femmes Vie Liberté » ont été semées comme celles du figuier qui restera gravé à jamais dans l’histoire du Festival.
En août 2024, l’Allemagne, qui a coproduit le film et où Mohammad Rasoulof a élu domicile, a annoncé avoir choisi "Les Graines du figuier sauvage" pour représenter le pays aux Oscars. "
Souhaitons que ce film majeur et puissant puisse être vu par le plus de spectateurs possible, portant ainsi la voix de la jeunesse iranienne par qui viendra le salut , comme l’affirme Rasoulof.
France soubeyran