Coup de coeur
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Coup de coeurLES DELICES DE TOKYO (AN)

Naomi Kawase

Kiki Kirin, Nagase Masatoshi, Uchida Kyara

113 min.
10 février 2016
LES DELICES DE TOKYO (AN)

Après
le très ésotérique et très contemplatif Still
the Water
, la réalisatrice japonaise Naomi Kawase nous revient avec Les Délices de Tokyo . Adapté du livre
éponyme de Durian Sukegawa, qui a pour titre orignal An , ce film délicieusement poétique est une invitation à l’éveil
des sens et à la méditation sur la beauté et la bonté dans sa simplicité la
plus nue.

An, c’est le nom de la pâte de haricots rouges confits qui sert à la
préparation des dorayakis, pâtisseries traditionnelles japonaises qui
ressemblent à de petits pancakes. C’est donc de cuisine dont il est question
dans ce film. Cependant, si bien manger est pour certains le début du bonheur,
l’art culinaire implique le respect d’un certain rituel, et revêt dans cette
perspective une dimension sacrée et humaine. Si toutes les traditions
religieuses font du repas un moment symbolique censé honorer le Divin, également
synonyme de partage, d’ouverture et d’accueil, nos sociétés occidentales en ont
souvent oublié le caractère sacré, ce qui est beaucoup moins le cas en Orient
où la cuisine est l’une des facettes d’une spiritualité pleinement vivante. En
témoignent d’ailleurs également les films de Hirokazu Kore-Eda où cuisiner et
manger témoignent d’une manière d’être et d’un art de vivre qui non seulement
relie les hommes entre eux mais les invite à rentrer en communion avec la
générosité de la nature.

C’est donc aussi de rencontres et d’amitiés dont il est question dans Les Délices de Tokyo car c’est au
carrefour d’une modeste boutique de dorayakis que le chemin de vie de trois
personnages vont se croiser et se lier durablement. Au cœur du trio, il y a
Tokue (Kiki Kirin), une femme de 70 ans, qui va tâcher de convaincre Sentaro (Nagase
Masatoshi), un jeune homme au regard embué de tristesse, de l’embaucher dans
son échoppe afin de l’aider à préparer la fameuse pâte An. Wakana (Uchida
Kyara), jeune collégienne solitaire, assistera quant à elle, d’abord
silencieusement, au prélude de cette nouvelle collaboration, mais elle deviendra
progressivement le troisième maillon de cette exquise trinité. Une trinité
tantôt savoureusement gaie, tantôt amèrement mélancolique. Naomi Kawase saisit
en effet ici l’occasion de nous faire écouter la mélopée des cœurs en détresse
à travers trois âmes esseulées que la société a décidé de retrancher de ses
rangs pour avoir été frappés par un coup du sort ou en raison d’un incident de
parcours.

Profondément humaine, pétrie d’une émouvante bienveillance, Tokue est le
personnage le plus touchant de ce film vibrant de sensibilité. Exclue de la
société pour avoir été atteinte de la lèpre dans sa jeunesse Tahoma ;mso-ansi-language:FR ;mso-fareast-language:AR-SA ;mso-bidi-language:AR-SA" lang="FR">[1] ,
elle a pourtant été capable de tirer parti des vicissitudes de la vie. Semblable
à un rayon de lumière, son regard curieux éclaire tout ce qu’il effleure. Les
sens en alerte, Tokue titille nos papilles lorsqu’elle concocte sa pâte de
haricots rouges avec patience et amour (véritables ingrédients secrets de sa
recette) ; elle nous invite à être touché par la fragrance vivifiante
d’une brise printanière ; elle nous amène à saisir l’éphémère beauté des
cerisiers du Japon en fleurs et à écouter le doux murmure de toutes les choses
qui, chacune, possèdent leur propre langage. Incarnation vivante d’un
être-au-monde qui est en relation continue avec tout ce qui est, Tokue est la
voix qui illumine l’invisible et transmettra à Sentoro et à Wakana un testament
inestimable : celui de croire en ce qu’ils sont en accordant à la vie le
bénéfice de la confiance en dépit de son intrinsèque incertitude. Enfin, c’est
dans un écrin de délicatesse qu’elle dépose au creux de nos âmes, à travers les
maux de la souffrance et les mots du bonheur, les perles d’une sagesse aussi
simple qu’infinie.

Les Délices de Tokyo offre donc, à travers ses personnages et son
atmosphère, des instants de grâce que les gastronomes du cinéma dégusteront
avec un ravissement inouï. Mais petit conseil : il vaut mieux ne pas
tenter de goûter à cette petite merveille le ventre vide car votre estomac
risquerait de crier famine au cours de toute la projection !

( Christie Huysmans )

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Tahoma ;mso-ansi-language:FR ;mso-fareast-language:AR-SA ;mso-bidi-language:AR-SA" lang="FR">[1] Naomi
Kawase a écrit le scénario de ce film dans la bibliothèque d’un sanatorium
dédié aux lépreux, situé près de Tokyo. Elle y a rencontré des patients et
beaucoup échangé avec eux. Elle a passé beaucoup de temps dans la forêt du
sanatorium afin de s’imprégner des lieux, de la lumière et de l’atmosphère.

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