Monia Chokri, Anne Dorval, Niels Schneider, Xavier Dolan
Si le cinéma était un volcan, on pourrait dire que de temps en temps il se désassoupit et projette des pépites-cendres (*) qui réveillent le spectateur.
A 21 ans, l’âge où beaucoup de réalisateurs sont encore dans les limbes d’un travail de fin d’études, d’un court métrage ou d’un premier film inabouti, Xavier Dolan a présenté à Cannes, cette année, son deuxième long « Les amours imaginaires ».
Une année après « J’ai tué ma mère » qui scelle une entrée dans le monde du 7ème art la fois tendre, cocasse et sarcastique sur les rapports conflictuello-aimants d’un fils et de sa mère, Dolan nous revient.
Et c’est tant mieux, avec un regard amusé, hystérique, insolent et épatant sur un improbable trio amoureux. 2 hommes, 1 femme. Jeunes, drôles, émouvants. Fragile et décalée « Bande à part » du XXIième siècle comme l’était celle de Godard en 1964.
Ce qui emballe chez Dolan, c’est un ton unique. A la fois totalement sincère et tout aussi totalement travaillé. A la fois totalement fougueux et totalement réfléchi.
Narcissiques et lucides, « Les amours … » mettent en scène et en jeu deux obsessions focalisées sur un bel Indifférent (comme chez Watteau) dont la présence vivifie les masochismes latents, les douleurs toujours pomptes à se réveiller et l’infinie capacité de se faire « son propre cinéma » en imaginant des « Fragments d’un discours amoureux » (**) qui n’existent que dans la tête de celui qui aime.
Film de projections mentales mais aussi de rappel de projections, « Les amours… » sont comme des escargots. Elles se déplacent, protégées par une carapace (bien assimilée) de références cinématographiques.
Esthétiques et chics comme chez Wong Kar-wai, bouleversantes comme chez Gus Van Sant lorsque le dos des personnages devient le support de leurs émotions les plus tues, mélancoliques et subtiles comme chez James Gray.
Hommages aussi à Pasolini (***), cet illustre ascendant qui a donné à l’homosexuel ses lettres de beauté plastique et à Bunuel qui avait compris que d’un « Ange exterminateur » on ne peut attendre que la désillusion, « Les amours … » sont une sorte de quilt.
Un quilt tissé de témoignages racontés face camera façon Bertrand Blier dans « Hitler connais pas », un quilt colorié avec une verve qui rappelle l’exubérance acidulée de Gilbert and George, un quilt musical qui, comme chez Sofia Coppola, s’enrichit des contrastes d’originales rencontres entre le classique et la variété pop/électro.
Le regard de Dolan, extrêmement mobile passant de l’amer au drôle, de l’attendrissant au douloureux avec la fluidité de la langue montréalaise qui porte ses dia(mono)logues, n’est pas dépourvu de pose. Certains diront de prétention (une des formes sophistiquées de l’angoisse) qui tourne en rond.
Mais n’est-ce pas un péché de jeunesse de jouer à l’important ? Surtout face à une presse qui n’a de cesse de vous considérer comme un prodige (****) .
Qu’est-ce que ça doit rigolo de voir frétiller un parterre de journalistes quand vous soutenez que vous avez écrit votre scénario (*****) dans un train et que vous avez tourné votre film en 25 jours.
La vie et elle seule se chargera de rappeler au réalisateur que pour rester au podium d’un firmament aux multiples prétendants il faut tenir ses promesses.
Nous n’aurons pas longtemps à attendre puisque sous peu Dolan commencera le tournage de son 3ème long « Laurence anyways » avec dans le rôle principal Louis Garrel.
Le même Garrel qui par son apparition dans « Les amours… » confirme l’intérêt du cinéaste pour les charmants garçons et installe une parentèle entre son cinéma et un certain cinéma français qui rappelle la nouvelle vague.
"Les amours ..." ont reçu le Prix Spécial du Jury au Festival International du Film Francophone de Namur 2010. (mca)
(*) Hana Makmalbaf "Buddha collapsed out of shame”, Naomi Kawase "Shara", Joachim Lafosse « Nue-propriété », Tsai Ming-lian “Good bye, Dragon Inn”, Brillante Mendoza « John, John » …
(**) Avec Dolan-l’autodidacte la littérature n’est jamais loin : Barthes, Musset, Cocteau, Racine …
(***) L’ange aux boucles blondes de Dolan est un lointain cousin de celui aux boucles sombres de Pasolini : Ninetto Davoli.
(****) Le magazine Le Point du 28 septembre 2010 n’hésite pas à comparer le cinéaste à Radiguet
(****) Dolan fait partie de ces stakhanovistes du grand écran. A la fois réalisateur, scénariste, acteur, monteur, costumier, producteur … et auto-fan.