Coup de coeur mensuel
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Coup de coeurLEMON TREE

Eran Riklis (France/Allemagne/Israël 2008 - distributeur : Cinéart)

Hiam Abbass, Rona Lipaz-Michael, Doron Tavory, Ali Suliman

106 min.
21 mai 2008
LEMON TREE

Pour François Truffaut, « le cinéma est plus intéressant que la vie ».

Ce n’est là qu’une opinion dont l’absolu a comme butée l’idée plus nuancée selon laquelle ce qui rend le cinéma intéressant c’est l’image qu’il donne de la vie.

Et à cet égard le parcours du réalisateur Eran Riklis est tout à fait passionnant. Parce que depuis toujours (*) il veille à trouver au cœur même des situations les plus complexes (**), le commun déterminateur qui rapproche des êtres que les cultures, religions, traditions et raisons d’Etat veulent différents.

Ce qui meut (dans les sens directionnel et émotionnel) la démarche de ce cinéaste qui tient à se présenter avant tout comme un partisan de la multiculturalité, c’est de sonder chez chacun cette brèche par laquelle s’insère le facteur sans lequel il est impossible d’entamer un échange de vues dénoueur de chaos et d’absurde : l’attention à l’autre.

Par une mise en scène simple, refusant toute sophistication formelle et suivant au plus juste une histoire ancrée dans une réalité sociale géographiquement définie, il arrive à nous toucher au cœur et à nous ouvrir à une réflexion sur l’état d’un Monde qui se porterait mieux si les notions de coexistence et de respect remplaçaient celles de méfiance et de préjugés.

Dans « Lemon Tree », c’est à travers une querelle judiciaire entre une veuve palestinienne et un ministre juif, adéquatement prénommé Israël, qu’Eran Riklis nous fait entendre les fracas d’une guerre qui ensanglante depuis trop longtemps le Moyen-Orient.

« Lemon … » est le récit d’une lutte à laquelle chacun, suivant son envie de lecture symbolique, pourra déceler la puissance d’une parabole, d’un conte, d’une métaphore ou d’un cas jurisprudentiel.

Lutte d’une femme, Salma, qui décide de se battre pour éviter que sa plantation de citronniers - et son seul moyen de survie - soit arasée au prétexte qu’elle pourrait servir de niche à des terroristes décidés à attenter à la vie du responsable politique israélien venu s’installer avec son épouse, Mira, à la frontière des territoires occupés.

Avec pour seules armes, sa dignité et l’amour de sa terre, Salma va porter l’affaire devant la Cour Suprême de Jérusalem et susciter, par son courage et son désarroi, chez sa voisine Mira une prise de conscience dans laquelle le sentiment d’injustice côtoiera le respect autant que la compassion.

Plutôt que de céder à la tentation de faire de Salma une victime ou de manichéiser un message de paix, Eran Riklis choisit de tracer un chemin entre deux femmes, une juive et une arabe, qui vont se reconnaître parce qu’elles partagent la même solitude et la mêmes sujétion qui les empêchent, aux noms d’un nécessité sécuritaire ou d’une tradition à œillères de vivre librement.

Il n’est pas fréquent qu’un écran de cinéma soit, durant plus d’une heure trente, dédié au besoin de comprendre une situation au-delà des prêt-à-penser politiques, sociaux et religieux.

C’est ce qui rend « Lemon … » précieux et poignant

Car il rappelle, mezzo voce, en cette période d’autocélébration des soixante ans de l’Etat d’Israël que la victoire qui reste à fêter est celle où deux peuples se réconcilieront parce qu’ils auront vaincu, non par un mur mais par un dialogue, la peur de l’autre.

Remplacée par l’écoute de l’autre.

Un peu comme dans ce beau film de Philippe Faucon « Dans la vie » ou « hallal » n’est pas opposé mais uni à « kacher ».

Il n’est pas concevable de parler de « Lemon tree » sans évoquer ses deux actrices principales. Dont le talent équilibre le film et lui donne une grandeur faite de sensibilité au quotidien et de tragédie plus universelle parce que propre à toute destinée humaine lorsqu’elle croise l’imbroglio de situations géopolitiques inextricables.

Un entretien avec Eran Riklis est proposé dans notre rubrique « Interviews ». (m.c.a) 

(*) « Final Cup » - un soldat israélien est pris en otage, durant la guerre du Liban, par un groupe qui se réclame de l’OLP.
(**) « The Syrian Bride » - une jeune femme druze sait que si elle quitte le plateau du Golan pour se marier avec un Syrien, elle ne pourra plus jamais revenir dans son pays natal.