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LE SOLDAT DE PAPIER

Alexeï Guerman Jr (Russie 2008)

Anastasia Cheveliova, Merab Ninidze, Choulpan Khamatova

118 min.
31 août 2011
LE SOLDAT DE PAPIER

Qu’il soit tigre ou soldat, être de papier est synonyme de vulnérabilité.

Le 12 avril 1961 l’Union Soviétique lance dans l’espace le premier cosmonaute. La mission du programme Vostok 1 a été préparée depuis le cosmodrome de Baïkonour perdu quelque part en plein cœur de la steppe du Kazakhistan.

Des hommes s’y entraînent, entre désoeuvrement, angoisse et espoir d’être sélectionnés pour le 1er vol spatial.

Parmi eux un médecin chargé de veiller à leur bonne santé, physique et mentale.

Un médecin tiraillé entre la peur d’un accident et un sentiment de désolation bien éloigné de la volonté propagandiste d’un pouvoir politique de prouver grâce à cet ambitieux programme spatial la supériorité en la matière des Russes sur les Américains.

Il n’est pas question chez Guerman d’enthousiasme, de triomphalisme, voire de simple contentement confiant - comme chez Philip Kaufman et son « The right Stuff » mais plutôt de dépression, d’anticipation d’un échec et finalement de perte de repères. De perte de raison.

Folie dans laquelle s’enlisera le personnage personnel, accablé de travail et de responsabilités, écartelé entre deux femmes qui, à cause de leur rivalité, n’arrivent pas à lui infuser courage et sérénité.

Il y a une tension qui se dégage du « Soldat ... ». Non pas une tension faite de suspens mais d’un enfermement , pas loin de la suffocation, du spectateur entre 3 territoires.

Le premier fait de la vastitude peu hospitalière de la terre kazakhe, le deuxième lié à l’intimité d’un être humain qui se vide lentement de toute joie de vivre et le troisième, reflet du regard que le cinéaste porte sur l’Histoire d’une génération qui n’est pas la sienne mais celle de son père, le metteur en scène Alexeï Guerman Sr, qui a connu les camps, les ombres de la tyrannie et les désillusions de promesses qui ne furent jamais tenues.

Climat oppressant rendu par une caméra exigeante et très engagée sur le plan d’un esthétisme fait d’équilibres entre plans séquences, comme chez Tarkovski et impression de volatilité émotionelle.

Il n’y a pas à proprement parler de récit dans « Le soldat… », il y est plutôt question d’une expérience.

Celle d’une attente et donc d’un ennui d’où suintent goutte après goutte spleen et morbidité.

Il est évidemment question d’envol chez Guerman, mais il est aussi question de plongée.

D’une plongée sans illusion dans l’immuabilité d’une âme slave appendue à ses incapacités.

A trouver une harmonie entre l’être et l’agir, entre le besoin de se dévouer à quelque chose ou à quelqu’un et l’impossibilité d’y arriver.

« Le soldat… » est un film triste. Comme l’était le magnifique "Morphine" d’Alexeï Balabanov (*) dans lequel un médecin (à croire que depuis Tchékhov la profession pousse à la tristesse existentielle) n’échappera à ses souffrances que par le suicide.

 

"Le soldat... " a reçu le Lion d’Argent de la mise en scène au festival de Venise 2008.  (mca)
 
(*) inspiré d’une nouvelle de Mikhaïl Boulgakov parue en livre de poche.