Bakary Diombera, Adèle Galloy, Gaspard Gevin-Hié
Le domaine de l’éducation a déjà plusieurs fois intéressé de nombreux réalisateurs. On retiendra par exemple aux Etats-Unis Freedom Writers, réalisé par Richard LaGravanese en 2007, qui dressait un portrait touchant d’une classe d’un lycée difficile de Los Angeles. Dans le monde cinématographique francophone, on retiendra surtout Entre les Murs, réalisé en 2008 par Laurant Cantet, qui avait reçu la Palme d’Or au Festival de Cannes. En 2019, le réalisateur Medhi Idir et le slammeur Grand Corps Malade signent leur deuxième co-réalisation après Patients en 2017, qui adaptait l’autobiographie de Grand Corps Malade et plongeait au cœur d’un centre de rééducation. Dans ce nouveau long-métrage, ils décident de filmer leur banlieue natale, la Seine Saint-Denis.
Dans cette comédie dramatique, la jeune Samia Zibra (interprétée par la comédienne Zita Hanrot, qui avait remporté le César du meilleur espoir féminin en 2016) quitte son Ardèche pour devenir la nouvelle conseillère principale d’éducation (CPO) dans un collège du quartier Franc-Moisin de la Seine Saint-Denis, dans le fameux 93. Loin d’être abattue par les préjugés sur la « ZEP » et des difficultés affrontées par les différents professeurs et surveillants, Samia tente de se faire une place auprès de ces élèves en difficulté, tout en surpassant ses propres problèmes personnels. La narration suit une année scolaire entière, à travers évidemment le personnage de Samia mais aussi les surveillants et professeurs, mais surtout les élèves. Le film se concentre sur une classe de 3e appelée « SOP » (Sans Options) qui est réputée pour regrouper tous les cancres de l’établissement. On découvre alors des situations tantôt cocasses, tantôt tragiques. Certains de ces élèves sont les clowns de la classe, d’autres se fichent de tout, d’autres encore cherchent à s’en sortir pour pouvoir passer le cap du lycée… des jeunes tous différents, tous uniques, tous particulièrement bien caractérisés et interprétés par des acteurs non-professionnels originaires de la Seine Saint-Denis. Mais c’est surtout le portrait du jeune Yannis (joué par Liam Perron) qui sort du lot et attire l’attention. L’adolescent vit seul avec sa mère et sa petite-sœur tandis que son père est en prison, et ne peut s’empêcher d’avoir un comportement inadmissible en cours. Samia réussira à se rapprocher du garçon, et tentera de le faire s’intéresser à l’école en lui proposant des perspectives d’avenir. C’est à travers cette relation que La Vie Scolaire touche le plus le spectateur en abordant un thème universel : la fatalité. En effet, le long-métrage, sous ses airs de comédie et ses blagues tombées à pic, dresse un portrait véridique et parfois presque documentaire des conditions de vie en banlieue. Si Samia pense qu’un peu de volonté peut conduire n’importe qui à vivre ses rêves, Yannis est persuadé que son milieu social influencera son avenir et que ses chances sont de toute façon nulles. Ce sont donc les trajectoires de Samia et de Yannis qui se rencontrent et forment l’objectif du film : Yannis va-t-il s’en sortir ? La Vie Scolaire ne cherche pas à raconter un conte de fée de gentil professeur qui guide l’élève difficile, il pose surtout la question pertinente « Est-il possible d’aider tout le monde ? ». Pour le découvrir, il faudra que le spectateur pousse la porte du cinéma.
La Vie Scolaire ne vaut pas uniquement le coup d’œil pour son thème abordé et sa narration. La réalisation, le travail de montage mais aussi sonore valent également qu’on y prête attention. Medhi Idir et Grand Corps Malade n’ont pas un parcours de réalisateurs classiques, l’un réalisant habituellement pour les mondes de la publicité et des clips musicaux, et l’autre quittant son micro pour passer derrière la caméra. Ce sont ces parcours atypiques qui apportent une touche originale à l’esthétique de La Vie Scolaire. En effet, plusieurs scènes utilisent avec habilité la musique et donnent une allure « clipesque » à ces séquences. Ce sont presque des envolées oniriques, des moments de pause dans cette année scolaire qui se déroule à toute vitesse, comme la scène de la fête ou celle du cours de musique. Le travail de la bande sonore se ressent jusque dans le générique de fin interprété par tout le casting du film et Grand Corps Malade, reprise de Je viens de là, titre du slammeur datant de 2009, et véritable ode finale au milieu souvent regardé de haut de la banlieue.
En outre, si on s’attend à voir une comédie sympathique en regardant La Vie Scolaire, on y trouve au final bien plus. Une certaine humilité, une honnêteté sans détours, un portrait brut de ces jeunes, de ces surveillants, de ces professeurs, un amour des deux réalisateurs pour la Seine Saint-Denis. Un amour nécessaire pour nous faire entrer dans cet univers presque enfermé. On remarquera les interprétations des acteurs, Zita Hanrot en tête, qui livre plusieurs scènes poignantes dans un rôle de femme forte qui tente de tenir tête au travail comme sur le plan personnel. Le choix des acteurs non-professionnels est judicieux puisqu’il renforce l’aspect documentaire du long-métrage et nous plonge encore plus dans la vie de ces adolescents. On sort du cinéma avec plusieurs questionnements en tête, un sourire aux lèvres en se remémorant certaines scènes, mais aussi avec une certaine tristesse en repensant à d’autres. Finalement, La Vie Scolaire, même s’il n’est pas exempt de défauts et touche à un sujet déjà-vu en s’attardant sur le milieu scolaire, parvient à prodiguer de l’émotion brute. On dit « Jamais deux sans trois », et on espère bientôt revoir sur nos écrans une troisième collaboration de Medhir Idir et Grand Corps Malade.
(Emilie Dieu)