Autour d’un livre
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LA QUESTION HUMAINE

Nicolas Klotz (France 2007 - distributeur : Réseau Diagonale)

Mathieu Amalric, Michael Lonsdale, Jean-Pierre Kalfon, Edith Scob, Valérie Dréville

141 min.
5 décembre 2007
LA QUESTION HUMAINE

Le cinéma français, avec Nicolas Klotz, cesse de ronronner et de cocooner. Il refuse les dérives romanesques et la fuite dans l’illusion. En échange il propose au spectateur des hypothèses de travail et lui demande d’y réfléchir.

Ses points de vue suscitent la polémique et c’est tant mieux. Car qu’y a-t-il de moins vivant qu’un 7ème art qui croule sous le non engagement et s’affadit dans une confortable et mensongère consensualité ?

Klotz est un traqueur des plaies du siècle : les sans papiers dans « La blessure », les sans domicile fixe dans « Paria ». Avec « La question humaine » il interroge le mode de fonctionnement des multinationales par le biais d’un psychologue industriel chargé d’enquêter sur la santé mentale de son directeur général.

En 2000, François Emmanuel publiait aux éditions Stock un récit laconique et intense sur une restructuration d’entreprise au nom de l’insatiable couple vampirique de nos sociétés modernes : la productivité et la rentabilité.

Son roman tirait, de son ambiguïté, une force étrange et pénétrante : pouvait-on établir un parallèle entre le propre du langage technique - ignorer ce que Graham Greene appelle « Le facteur humain » - et la mécanique génocidaire nazie ?

Chez le cinéaste, l’équivoque est devenue une thèse. Qu’il va s’appliquer à démontrer, parfois lourdement, parfois fantastiquement en choisissant de ne montrer de l’entreprise que les cadres décideurs - laissant hors champ les strates professionnelles malléables et taillables par (et pour) le grand capital - captés dans une lumière glacée qui met mal à l’aise et finit par sourdement angoisser.

« La question… » est habité par deux acteurs fantastiques. Un Mathieu Amalric particulièrement inspiré et dont la méthodicité minérale est portée telle une armure lui permettant d’exercer, sans état d’âme ou scrupule, son métier de recruteur/sélectionneur/éliminateur.

Quant à Michael Lonsdale il prouve une fois de plus à quel point il excelle dans un registre qui convoque les nécessités contradictoires d’être patelin et inquiétant (*)

Le film est construit autour d’un axe symétrique qui oppose autant qu’il assimile. A la rave party correspond la rafle d’Africains, l’une et l’autre illustrant la perte de respect de l’homme pour lui-même et/ou ses semblables. Illustrant sa capacité à s’autodétruire et à détruire.

A la maîtrise robotisée de lui-même et de ses fonctions répond l’apprentissage par Simon de la douleur. Douleur qui le dénudera et le ramènera à une prise de conscience que la boursoufflure individualiste du monde libéral tente d’occulter : je, comme l’autre, sont des êtres humains.

Dans le parcours de Simon, il y a quelque chose de violent qui renvoie aux notions primales et barbares de puissance et d’effroi.

Est-ce suffisant pour tisser des liens entre l’inhumanité du capitalisme moderne et la Shoah ?
Accepter ce rapport n’est-ce pas banaliser ce qui a été et demeure l’horreur absolue ?

Mais ne pas accepter qu’un artiste se pose une question, aussi dérangeante soit-elle, n’est-ce pas brider la notion même de liberté créatrice ?

Reconnaître qu’il y a des sujets inconditionnellement inabordables ? Et favoriser ainsi un climat d’autocensure au lieu de faire confiance à la capacité de discernement du spectateur ?

Lorsque le cinéaste est venu, à Flagey, présenter son film devant un auditoire passablement échaudé par le monologue final qui se réfère explicitement (**) à ce que l’Histoire a retenu comme étant « la note technique de 1942 », Nicolas Klotz s’est expliqué en disant qu’il avait voulu pulvériser un silence. Celui dans lequel son grand-père, rescapé d’Auschwitz, s’était réfugié.

Qu’il avait voulu réintroduire par l’émoi de Simon ce qui manque, par essence au langage technique, la capacité d’être bouleversé.

Si la « La question… » n’est pas un film contre le capitalisme ou sur la Shoah, comment alors le définir ?

Comme étant une mise en garde. Un rappel que les sociétés (***) façonnent des systèmes dans lesquels les uns sont broyés par les autres.

Comme un appel à la vigilance. A la résistance. (m.c.a)

(*) Il jouait déjà de ce registre dans le film de Jean-Louis Bertucelli « L’imprécateur » qui insistait sur la folie inhérente au monde de fonctionnement des grandes entreprises.
(**) Comme l’avait fait Lanzmann à la fin de la première partie de « Shoah » par une lecture intégrale de cette note qui décrit, avec des mots froids d’ingénieurs, comment optimaliser l’extermination des Juifs.
(***) ... Et les émissions télévisées - "Le maillon faible" , le jeu très audimaté de TF1.