Jorge Roman, Daniel Valenzuela
L’eau, la nature, de longs plans horizontaux au fil desquels se déplie, en crescendo moderato, une inquiétude sourde et opaque.
Opaque comme les magnifiques blancs et noirs sur lesquels surfe une histoire simple. Pleine de frustrations, de ressentiments, de non-dits et de pensées conflictuelles.
Quelque part dans un coin reculé d’Argentine, coincé entre rivières, forêt subtropicale et villages ascétiques, un bateau, la Leon, fait la navette. A son bord un homme brutal qui supporte mal la façon de vivre, douce et généreuse, d’un jeune homme épris de livres et de solitude.
Entre les deux, comme dans un western - genre avec lequel le cinéaste revendique une filiation -, ce sera une confrontation hérissée de sensualité et de violence dont la fin tragique s’accorde avec la moiteur sauvage d’un endroit qui, tel un maléfice labyrinthe, se referme sur ceux qui n’en trouvent pas la porte de sortie.
Il est question d’homosexualité, de pauvreté, de conflits ethniques dans ce premier film d’un réalisateur de 24 ans qui avec d’autres (*) participe au renouvellement d’un cinéma sud américain qui veille, par un formalisme strict, à porter sur le monde un regard épuré et hypnotique.
Autant le regard de Santiago Otheguy est infini - impression accentuée par le recours au format cinémascope - lorsqu’il se porte sur la beauté du Delta du Parana, autant il est serré lorsqu’il filme les deux personnages dans le secret des pulsions qui les animent.
A l’immobilisme d’un désert d’eau à perte de vue s’oppose, sans jamais le forcer, le mouvement irrépressible d’une montée de tension entre les personnages principaux.
Ces rythmes opposés et contradictoires donnent à « La Leon » une impression de dérive et de létale langueur traversée à de rares moments par des gestes de tendresse ou de brutalité aussi furtifs qu’inattendus.
Quelque chose d’étrangement sauvage suinte de ces eaux trop calmes. Comme si la force corrosive d’un fleuve qui a vidé de ses habitants une région autrefois prospère allait gangrener, tout aussi impitoyablement, les existences de ceux qui vivent encore sur ses rives. (m.c.a)
(*) « Los muertos » de Lisandro Alonso, « Hamaca Paraguya » de Paz Encina