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LA FILLE INCONNUE

Jean-Pierre et Luc Dardenne

Adèle Haenel Olivier Gourmet Thomas Doret Jérémie Renier Christelle Cornil Marc Zinga

113 min.
5 octobre 2016
LA FILLE INCONNUE

Lauréats de deux Palmes d’or (l’une pour ‘Rosetta’ en 1999 et l’autre pour ‘L’Enfant’ en 2005) et grands habitués de la Sélection officielle du Festival de Cannes, Jean-Pierre et Luc Dardenne étaient cette année de retour sur la Croisette pour présenter ‘La Fille Inconnue’ (2016). Malgré un accueil mitigé à Cannes, le nouveau film des frères Dardenne conserve la dimension sociale de leur cinéma et parvient à nouveau à invoquer leurs thématiques fétiches pour cette fois disséquer la tension qui peut exister entre la raison et l’émotion.

Jenny Davin (Adèle Haenel), médecin généraliste, refuse, une heure après la fermeture de son cabinet, d’ouvrir la porte à une patiente. Peu après, Jenny apprend que la jeune femme, qui essayait de trouver de l’aide, a été retrouvée morte le long de la berge. La police ignore tout d’elle jusqu’à son identité. Rongée par le remord, le docteur Davin décide de mener l’enquête pour découvrir le nom de la victime et lui offrir une sépulture.

Le suspense tissé par l’enquête met en tension deux éthiques (celle du docteur contraint au secret médical et celle du détective qui cherche la vérité à tout prix), mais il participe aussi à briser le rituel de vie de Jenny qui, partant d’une forme de culpabilité, se connecte avec son humanité par l’action. Le choc de l’incident, qui fonctionne ici comme une sorte de réveil, va venir contredire la rationalité de celle qui disait au début de l’intrigue que « pour faire un bon diagnostic, il faut être plus fort que ses émotions ».

La caméra capte, souvent au plus près, ce besoin d’agir en suivant Jenny, ses mouvements, ses gestes et ses regards, tous signifiants. Et, en procédant à un travail minutieux – sur le cadrage notamment –, les réalisateurs auscultent les êtres, leurs liens et les rapports de force qu’ils tissent entre eux. En ce sens, ‘La Fille Inconnue’ est un film exigeant qui demande au spectateur, à l’instar du personnage principal, de prendre le temps, d’apprendre à écouter, d’accepter d’abord le silence pour qu’ensuite la parole, retenue, puisse se libérer. Comme un dernier geste contre l’indifférence.

Dépouillé, le film l’est : les espaces sont resserrés, le temps est encadré et la caractérisation du personnage est épurée, refusant l’indiscrétion, pour mieux se consacrer à la transition que le docteur Davin subit. En s’efforçant de restaurer la dignité de la défunte, Jenny rend poreuse les frontières qui existent entre l’intime et le professionnel, le médecin et ses patients.

Dans une œuvre comme ‘La Fille Inconnue’, l’important est à chercher dans les petites choses. Ces détails riches de sens, déjà au cœur du scénario et inscrits dans la mise en scène, s’incarnent aussi dans l’interprétation subtile d’Adèle Haenel qui habite entièrement le film. Toujours sur le fil entre l’expressivité (et ce même lorsqu’elle est – fréquemment – filmée de profil) et la retenue, l’obstination et la remise en question, la comédienne installe un jeu qui, crescendo, se relâche et s’adoucit (dans son phrasé comme dans ses gestes) à mesure que Jenny lâche prise. Ainsi, chaque inflexion du visage d’Adèle Haenel marque une étape du cheminement émotionnel de son personnage.

Paradoxalement, si le film développe un rythme et une tension basés sur une parole émancipatrice d’un sentiment de honte collective, ce sont peut-être les moments trop écrits qui peinent à convaincre : des dialogues – pourtant dosés afin d’évoquer le manque – trop littéraux et des éléments de l’intrigue inutilement alambiqués handicapent l’ensemble. Certains verront également une limite dans le systématisme du procédé (avec ces scènes qui se répondent, par exemple). Pourtant, l’intensité du dernier plan vient nous rappeler la force des images des frères Dardenne et cette idée de transmission que seul le cinéma peut offrir. Jenny disait à propos de la fille inconnue « si elle était morte, elle ne serait pas dans ma tête ». Et, le film laisse penser qu’il en va de même pour notre humanité : si elle était morte, nous ne l’aurions pas devant les yeux quand le générique final apparaît.

(Katia Peignois)