Deux regards - deux opinions
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LA COULEUR DES SENTIMENTS selon Ariane Jauniaux

Tate Taylor

Emma Stone, Jessica Chastain, Viola Davis, Bryce Dallas Howard, Chris Lowell, Sissy Spacek, Octavia Spencer, ...

146 min.
28 décembre 2011
LA COULEUR DES SENTIMENTS selon Ariane Jauniaux

Dans la bourgade de Jackson dans l’état du Mississipi, la discrimination raciale marque les membres d’une communauté divisée par la couleur. Une jeune femme blanche non conformiste, Skeeter (pétillante Emma Stone), décide de suivre les inspirations de son coeur et de porter le projet de donner une place à la voix des servantes noires. A l’heure où la tension sociétale monte d’un cran, la dénonciation d’un quotidien teinté des humiliations les plus sournoises met ces femmes en danger. Leur désir est de chambouler l’ordre établi, l’hypocrisie et la bassesse faisant rage dans la ville.

Adapté du best-seller de Kathryn Stockett, écrivaine que le réalisateur connaît depuis sa tendre enfance, " La couleur des sentiments ", fresque joliment accompagnée par la musique de Thomas Newman, s’étale sur presque deux heures trente, qui ne donnent pas l’impression de s’éterniser.

Pour incarner les servantes noires à l’avant plan, s’il a fallu trouver un arrangement pour faire concorder l’agenda de Viola Davis, en proie à une passion pour les planches, et celui du plateau de tournage, il n’a fallu qu’un heureux hasard pour qu’Octavia Spencer rejoigne l’aventure.

En effet, celle-ci a vécu en colocation avec le réalisateur et a rencontré, par la même occasion, l’auteur du roman qui la prit comme source d’inspiration pour le personnage de Minny. Il semble donc cohérent qu’Octavia endosse le tablier puisque c’est elle qui a donné vie à une part importante de la force du récit : la fierté et l’insolence de Minny ne s’apparentent pas ici à des dérives égocentriques mais à des armes favorables au maintien de la survie psychique d’une femme qui se relève à chaque gifle de la vie.

Le casting est un régal, et c’est un plaisir de retrouver Sissy Spacek en mère évincée par une insupportable Bryce Dallas Howard qui manie l’art de la duplicité comme personne, sans oublier la merveilleuse Jessica Chastain dans un rôle aux antipodes de celui qui l’a révélée au grand public, celui de The Tree of Life (Terrence Malick, 2011). Elle arbore ici un charme de femme sans trop de classe mais dotée d’une incroyable volonté, une volonté naïve et attachante. 

Il est clair qu’on trouve ici une bonne louche de stéréotypes, un pavé de sentimentalisme et de gros traits mal étayés. Bien sûr, l’image enjolive les choses, esthétise la misère qui n’en a, du coup, plus vraiment l’air. Pourtant, tout cela mis bout à bout fonctionne d’une étonnante manière, faisant naître une empathie touchante avec le récit de ces femmes d’une réalité passée. A l’écran, c’est par le suivi tour à tour de chacune d’elles, de leurs anecdotes et moments de vie, que naît une sorte d’aura de porte-drapeau.

Le propos se veut porteur d’une essence sincère et empli du sens d’un combat passé, mené par les femmes de l’histoire, propos renforcé par l’engagement des actrices du film. Aujourd’hui, les discriminations diffèrent sur bien des plans, mais elles n’en existent pas moins tout autant. Elles s’avèrent moins duelles et plus souterraines encore. Mais l’admiration naît devant le récit de ces grands et ces grandes qui font face avec la pugnacité du guerrier et la modestie des plus grands maîtres. Toujours, ce sont ces gens qui se battent pour leurs idéaux, qui ne sacrifient rien à la société, ce sont ceux-là, toujours, qui donnent envie de regarder, d’écouter, de suivre. Et ceux-là mêmes qui font retrouver le cœur des valeurs qu’il est bon de chérir.

(Ariane Jauniaux)