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LA CLASSE OPERAIA VA IN PARADISO - LA CLASSE OUVRIERE VA AU PARADIS

Elio Petri (Italie 1971)

Mariangela Melato, Gian Maria Volonte, Salvo randone

125 min.
20 juillet 2011
LA CLASSE OPERAIA VA IN PARADISO - LA CLASSE OUVRIERE VA AU PARADIS

Peut-on donner ce que l’on n’a pas ? Du bonheur par exemple.

Ils sont deux - déterminés, talentueux et se connaissant bien puisqu’ils ont déjà collaboré sur " Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon" - aux rênes de ce film qui a obtenu, ex-aequo avec « L’affaire Mattei" de Francesco Rosi la palme d’Or du festival de Cannes en 1972.

Mais qu’est donc devenu ce temps béni d’un cinéma italien engagé sur le plan social et politique ?

Deux disions-nous. Un cinéaste, Elio Petri et un acteur, Gian Maria Volonté.

Deux dont les noms claquent comme des drapeaux. Au vent d’un 7ème art qui se veut spectacle, portrait et prise de conscience. Un 7ème art plus près de la "vera que de la dolce vita".

Spectacle parce qu’il raconte et démonte parfois de façon un peu lourde et répétitive la vie privée et professionnelle d’un ouvrier, taciturne (dépressif ?) et acharné au travail, qui découvre, à l’occasion d’un accident, la solidarité syndicale.

Portrait parce qu’à-travers l’histoire de Lulu Massa, le réalisateur pointe les dysfonctionnements au sein des usines : les cadences à respecter, le quota de productivité à assumer, la compulsivité à la performance et la constante mise sous tension qui peut rendre fou - on ne parlait pas de « burn out » à l’époque.

Prise de conscience parce que Lulu, peu à peu, va mesurer la distance qu’il y a entre les ouvriers, taillables et corvéables à vil prix, et la hiérarchie de l’entreprise.

Se rendre compte de la collusion quasi instinctive entre la police et le monde patronal et de la nécessaire union des travailleurs, qu’ils soient communistes, socialistes, radicaux ou modérés, s’ils veulent adopter une position de lutte commune.

Attitude tantôt de bélier lorsqu’il s’agit de décider d’une grève, tantôt de tortue lorsqu’il s’agit de résister aux exigences de l’entreprise - dans les deux cas ces postures sont celles-ci d’une vigilance au combat qu’il ne faut jamais relâcher.

« La classe… » est un film généreux (même dans la longueur …) qui témoigne avec respect d’un travail, celui à la pièce ou à la chaîne auquel le cinéma de fiction n’accorde souvent pas grande attention (*) - comme si son absence de glamour ne pouvait que le condamner au documentaire (**)

Il le fait avec précision et efficacité notamment en géométrisant les cadrages qui deviennent peu à peu des espèces de mécaniques bien huilées et en valorisant une bande son due à la protéiforme aisance d’Ennio Morricone à mélanger notes de musique et bruits ambiants.

Gian Maria Volonte est remarquable. Non seulement il emplit l’écran d’une présence intense mais il réussit même lorsqu’il est absent de l’image - ce qui est rare parce qu’il est quasiment de tous les plans - à imprégner celle-ci d’une sorte d’empreinte ou de rémanence convaincante et énergique.

Il porte à lui seul le propos - sorte de titan (Atlas ?) chargé de maintenir les piliers de la cohésion sociale tout en n’hésitant pas à porter à ceux-ci, en cas de ras-le-bol, des coups de butoir.

D’où vient alors l’étrange tristesse qui s’empare du spectateur tout au long du film ?

Serait-ce parce qu’il évoque un temps où il était possible de revendiquer « moins de travail » alors qu’actuellement les ouvriers en sont réduits à n’espèrer qu’une chose, pourvoir garder le leur - la délocalisation étant devenue une arme qui tue, sorte de Winchester 73 du capitalisme au détriment du prolétariat ?  (mca)

(*) « Metropolis » de Fritz Lang, « Les temps modernes » de Charlie Chaplin, « L’homme de marbre » d’Andrej Wajda, « Ressources humaines » de Laurent Cantet, « Louise Michel » de Gustave Kervern

(**) rappelons celui, humble et magnifique, de Maxime Coton consacré à son père dans "Le geste ordinaire" sorti à la sauvette au Nova cette année mais que l’on peut désormais voir et revoir en DVD.