Isabelle Huppert, Maryline Canto, François Berléand, Jean-François Balmer
Chabrol, depuis près de 50 ans, dresse une image plus amère qu’amène de la France et de sa bourgeoisie petite, moyenne ou grande.
Il a souvent accordé une place de choix aux annales judiciaires de son pays (« Violette Nozières » « Landru », « Nada ») non pas à la façon d’un Francesco Rosi ou d’un Costa-Gavras qui donnent à voir des dossiers mais à sa façon matinée de bonhomie, de rouerie et de sens critique.
Dans cette instruction d’une affaire politico-judiciairo-financière qui rappelle le scandale Elf, plutôt que d’en développer les aspects techniques, il préfère s’attacher à une étude des caractères et des comportements. Comme si cette affaire n’était au fond qu’un prétexte tiré de la réalité pour traiter de la notion de pouvoir et de l’ivresse qu’il génère.
Pouvoir d’un juge d’instruction interprété par une Isabelle Huppert dont le jeu au carrefour de la caricature et de la distance brechtienne souligne intelligemment l’inconfort croissant avec lequel elle habite un personnage au patronyme ironiquement paradoxal : Charmant-Killman (tueuse).
Pouvoir des cols blancs qui, arrogants parce que sûrs de leur impunité, tirent les ficelles d’un carrousel de circulation illégale d’argent.
Pouvoir du cinéaste de nous intéresser à une histoire qu’il revisite à son allure c’est-à-dire en se refusant toute posture morale ou péroraison frontale à la mode américaine.
On imagine sans peine ce qu’un pareil sujet aurait donné traité à la Moore’s way…
Chabrol, dès le prologue, précise que « toute ressemblance avec la réalité serait, comme on dit, fortuite ». Est-ce une raison pour prétendre que son film n’est pas engagé ?
Oui si l’on donne au mot « engagé » le sens de définitivement et unilatéralement tranché.
Mais si on élargit l’acception à celle de la réflexion, « L’ivresse » est un film qui invite à se demander si le pouvoir que l’on croit posséder n’est pas une illusion, une apparence qui ne se révèle comme telle que lorsqu’il est confronté à des pouvoirs qui lui sont supérieurs.
Et s’il était aussi et avant tout une jouissance au contact de laquelle s’effritent les idéaux, la rigueur et l’éthique.
Dilution qui engendrera chez l’héroïne une prise de conscience la renvoyant à son impuissance, à son non-pouvoir sur les événements et sur les êtres mais certainement pas à sa duperie magistralement incarnée par les derniers mots d’un film décidément bien désenchanté « Qu’ils se démerdent » . (m.c.a)
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