Isild Le Besco, Marc Barbé, Bérangère Bonvoisin
Faut-il pour oser être soi-même avoir trouvé une réponse à la question de qui l’on vient ?
Jeanne est une jeune femme élevée par une mère célibataire. Elle est à la fois comédienne, à la recherche de cette profondeur juste qui touche l’âme d’un rôle dans une pièce exigeante de Brecht « Sainte Jeanne des abattoirs » et actrice de cinéma, physiquement chosifiée dans une scène d’amour calibrée selon les exigences précises d’un metteur en scène.
Le ton est donné : Jeanne devra se débattre entre ces 2 extrêmes que sont le spirituel et le corporel, entre la quête d’un absolu et l’incontournable d’une matérialité.
L’occasion lui est fournie de jeter un pont entre ces pôles écartelants : le jour de ses 21 ans Jeanne apprend de sa mère que son père est un indien de la caste des intouchables. Elle décide de partir en Inde.
De Pont-à- Mousson à Bénarès, le chemin sera long pour cette habituée de la souffrance intime. Long mais pacificateur. Jeanne y rencontrera son père sans avoir le besoin d’entrer en contact avec cet homme qu’elle suit dans la rue, à la fois ravie (comme la Lola Stein de Marguerite Duras, l’évanouissement scandera la finalité de sa recherche) et respectueuse de la distance qui les sépare.
Il faut du talent pour incarner, avec sensibilité et vibrance, cette jeune femme autant à la recherche d’un autre que d’elle-même. Isild Le Besco en a à revendre. C’est pourquoi elle arrive, par une présence à la fois charnelle et désincarnée, à nous faire toucher et dès lors ressentir cet indicible cinématographique : une évolution intérieure.
Film dépourvu d’exotisme, d’effets visuels ou langagiers, il cerne au plus près le mystère d’une solitude qui s’ouvre, comme le fait un plan de nénuphar quand le soleil l’effleure, au contact de la chaleur spontanément offerte par une famille rencontrée par hasard.
« L’intouchable » peut déconcerter par une impression d’indolence - celle du chat qui se promène sans nécessairement choisir le rectiligne pour se rendre au fond du jardin - et une sensation de sensualité à fleur de peau vraisemblablement due à l’amour avec lequel le cinéaste place sa caméra pour saisir son actrice dans ses dimensions à la fois les plus habitées et les plus absentes. Didier Decoin avait posé sur Danielle Darrieux ce même regard dans leurs plus belles collaborations (« Abus de confiance », « La vérité sur bébé Donge »)
« L’intouchable » possède une petite lumière bien à lui, pas de celles qui brillent avec éclat et faste mais celle qui éclaire doucement et progressivement la découverte qu’un apaisement peut être apporté aux âmes tourmentées. Comme Alain Corneau l’avait fait, avant lui, dans « Nocturne indien », Benoît Jacquot a su capter ce lien mystérieux qui unit un pays, l’Inde, et le reflet de son miroitement mystérieusement pacifiant sur celui qui décide de venir s’y ressourcer (m.c.a)