Chef d’oeuvre
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KEANE

Lodge Kerrigan (USA 2004 - distributeur : Ecran Total)

Damian Lewis, Abigail Breslin, Amy Ryan

104 min.
11 juillet 2007
KEANE

Les cinéastes - les meilleurs et les moins bons - imaginent un monde et le décrivent comme s’il était le monde réel.

Les acteurs – les meilleurs et les moins bons - ont la mission de donner à ce monde imaginaire la densité qui lui permet de ressembler au monde réel.

Lorsqu’à la fois le cinéaste et les acteurs sont excellents, ils offrent de leur univers une exploration passionnante qui sculpte, en la justifiant, la passion du spectateur pour le 7ème art.

C’est le cas de « Keane », cette magnifique composition dans laquelle s’assemblent et s’enchaînent une atmosphère (plus qu’une histoire) et des rôles qui lui donnent corps.

Corps est le mot qui convient pour cette plongée dans la douleur d’un homme, qui parce qu’elle ne sera jamais éclaircie ou expliquée, prend valeur de paradigme.

Une gare routière quelque part en Amérique. Un homme, William Keane, erre. Blême, fébrile, il questionne, au hasard, les passants. Ont-ils vu sa petite fille disparue quelques mois plus tôt ?

De réponse nous n’en aurons pas. Juste de-ci de-là des bribes d’une réalité fracassée comme le mental de celui qu’une caméra va suivre avec une proximité proche de l’indécence.

Le déchirement qui saisit le spectateur à la vue de cette souffrance soudée à une solitude que rien, même pas l’amitié candide d’une enfant, ne vient attiédir, repose sur l’insolite fécondité d’une maîtrise formelle à saisir les tourments d’un cerveau dérangé.

Dans « Spider », David Cronenberg accrochait, grâce à Ralph Fiennes, les lambeaux de la réalité perçue par un psychotique, dans « Keane », Kerrigan, aidé par un Damian Lewis au talent tranchant comme la schize qui l’habite, donne du borderline, une représentation heurtée, sensorielle et physique qui fascine et met mal à l’aise.

A la fois glacé et clinique, ce film dégage un rare potentiel émotionnel. Comme « Claire Dolan », l’énigmatique call-girl du précédent ouvrage de Kerrigan, « Keane » impressionne. Tous les deux par les menus détails qui les caractérisent (vêtements, gestes, regards) donnent du monde le reflet de leur mental estropié.

Enfermés dans leur propre logique labyrinthique, ils rappellent qu’il est des êtres humains pour lesquels les mots "communication", "espoir", "équilibre" n’ont et n’auront jamais de sens. (m.c.a)