Comédie
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JULIE & JULIA

Nora Ephron (USA)

Meryl Streep, Amy Adams, Stanley Tucci...

123 min.
14 octobre 2009
JULIE & JULIA

Ode au beurre .

En ces temps de régimes et des restrictions en tous genres, il est bon de vivre les quelques instants d’abondance et de surplus que peut procurer la cuisine au beurre. Fondu par paquets entiers, battu, malaxé, incorporé dans des pâtes, des sauces ou des desserts merveilleux, le beurre s’étend sans complexe devant la caméra de Nora Ephron dans Julie & Julia. Présenté en avant-première au Festival du film de Gand, le film d’Ephron, réalisatrice mais surtout scénariste d’un bon nombre de comédies romantiques des années 90 (When Harry Met Sally ou Sleepless in Seattle), s’engage sans encombre dans ce pari loin d’être innocent. Pourtant l’intrigue semblait sinon mince, du moins déjà engoncée dans les affres d’un genre peu reconnu et (publiquement) difficilement apprécié – celui de la comédie romantique. Julie Powell (Amy Adam), une jeune femme travaillant dans le monde déprimant des assurances post 9/11, ne trouve épanouissement et bonheur que dans sa cuisine. Poussée par son conjoint, elle se lance dans l’écriture d’un blog retraçant la réalisation journalière d’une des 524 recettes de son héroïne favorite : Julia Child (Meryl Streep), icône nationale pour avoir permis aux ménagères américaines d’accéder aux délices de la cuisine française.

Echafaudant des ponts temporels et culinaires, Ephron révèle également le monde de Julia au début de ses explorations parisiennes ; épouse d’un diplomate américain muté à Paris à la fin des années 40, Julia cherche à combler son ennui dans un passe-temps à la hauteur de ses aspirations. Après s’être essayée à la confection des chapeaux, au bridge, puis à la maîtrise de la langue française (faut-il le dire, sans aucun succès), elle s’engage dans des cours de cuisine qui la confrontent à un univers quasi exclusivement masculin mais qu’elle finit par dompter et épater à force d’exercices et de dons. Sa pratique et une rencontre avec deux consoeurs, la mèneront à la rédaction d’un livre de référence, Mastering the Art of French Cooking, publié après une série de refus successifs et insultants d’éditeurs américains. Combinant les écrits des véritables Julie & Julia (Julie & Julia de Julie Powell & My Life in France de Julia Child), Ephron bâtit son scénario et sa mise en scène sur un subtil emmêlement des deux destins, leur quête identitaire balisée par les mêmes échos malgré la distance temporelle.

Le film ne serait rien sans celle qui incarne la cuisine au beurre et toute sa démesure. Dépassant toute impression de déjà vu à laquelle on pourrait s’attendre devant l’étendue de sa filmographie, l’interprétation de Meryl Streep ne peut laisser insensible ; elle oscille, entre l’irritation exacerbée provoquée par son accent insupportable et ses mimiques irrépressibles, et l’incroyable émotion qu’elle dégage au travers de sa passion pour l’art culinaire et pour un mari plus qu’attentionné et complice (l’impeccable Stanley Tucci). Femme meurtrie par l’impossibilité d’enfanter, épouse extraordinaire dans tous les sens du terme, trop grande pour une gente féminine miniature, trop large pour les tailles haricot du prêt-à-porter parisien, Streep/Child est définitivement ‘hors-normes’, ne s’intégrant ni dans les canevas d’une société paranoïaque qui s’inquiète de tout débordement, ni dans celles d’une féminité imposée. Pourtant, elle vit et s’exprime, dotée d’une conscience aigue d’elle-même qui lui fait dire, comme sa sœur, que « we don’t fit in » et, toujours avec le sourire, qu’elles sont « good but not great ».

Plus qu’une comédie gentillette et savoureuse, le film de Ephron procure une joie presque inavouable, délicieuse et politiquement incorrecte. La réalisatrice souligne aussi, l’air de rien, des changements dans l’air du temps au travers d’une nostalgie certaine ; autant Julia semble libre, dans son expression, ses voyages, sa cuisine, et cela malgré les contraintes sociétales, autant Julie semble définitivement coincée dans une ère où, malgré la primauté du narcissisme, se forger une identité reste plus que problématique, et où on ne voyage plus que par l’esprit voire des réseaux alambiqués des blogs. Au-delà de la nostalgie, restent ces morceaux de bravoure intemporels de la fabrication des aspics, des homards à ébouillanter, des oignons à éplucher. Sans compter le canard à désosser, dans le seul véritable face à face entre Julie et Julia, chacune à sa place, devant et derrière l’écran de télévision. Et puis, encore et toujours, le beurre qui fond… Au diable la parcimonie. 

(Muriel Andrin, Université Libre de Bruxelles)