Severin Blanchet, Michel Piccoli, Lily Lavina
Si le bizarre, l’incongru, le farfelu ne vous dérangent pas, vous aimerez ces « jardins » foutraques dans lesquels les hauts fonctionnaires font le poirier et où les guépards sont promenés en laisse.
Si le loufoque, le décousu, l’insolite vous agacent, passez votre chemin.
Un ministre démissionne. Loin du pouvoir, de ses pompes et vanités, Vincent va redécouvrir les plaisirs de l’oisiveté dans le Paris de la Contrescarpe.
Quel âge pouvait avoir Candide quand Voltaire l’a ravi au monde pour en faire un jardinier ?
Il devait sûrement être plus jeune que ce diable d’Iotar qui, à septante deux ans, pose toujours sur la société, ce regard d’enfant frondeur et effronté convaincu qu’il est possible de vivre de peu, de boire plus que de raison, et de jouer à la crapette ad libitum.
Iosseliani est un épicurien convaincu. Peut-être parce que né à Tbilissi, il en connaît un bout sur la tyrannie du pouvoir et ses empiètements sur la liberté individuelle.
Sa façon de résister à la folie routinière du monde sera d’en relever les absurdités, d’en pointer, avec humour et fantaisie, les impasses, de faire coïncider le burlesque avec l’inattendu.
Vincent, débarrassé des ors de la République, retourne vivre auprès de sa mère interprétée par un Piccoli qui n’est jamais aussi génial que lorsque des rôles de décalé lui sont proposés (« Grandeur nature » de Berlanga, « Prends garde à la femme blanche » de Marco Ferreri).
Il y a des films où tout tourne au drame, avec Iosseliani - comme avec Pierre Etaix ou Tati – tout tourne au cocasse.
Même si les scènes de bistrot sont un peu trop répétitives et qu’une certaine langueur emplit inutilement le vagabondage de Vincent, « Jardins » possède un « la » bien à lui. Une note qui enchante et rafraîchit.
A l’automne de sa vie, le cinéaste nous offre, sans effet de manche ou discours grandiloquent, une réflexion sur trois des ingrédients nécessaires à la joie de vivre : la fraternité, la tolérance, et l’oisiveté.
Tout en gardant à sa lucidité sa capacité de grincer face à un appartement squatté par des Africains sans papiers.
Plus proche du Rabelais de l’abbaye de Thélème que de Montaigne, Iosseliani fabulise un monde dans lequel les rituels entre copains, les relations avec les copines, se dégustent lentement.
Le temps de démontrer, par l’absurde subliminal, la folie d’une époque dans laquelle se perdent ceux qui ne sont plus capables de rêver de, s’enjouer ou de terrasser le dragon - rôle de Saint Georges que se réserve le réalisateur en crayonneur de rue. (m.c.a)