(les voix de) : Ariane Ascaride et Alain Ughetto
« Luigi, mon grand-père, j’aurai aimé le connaître, mais je ne l’ai pas connu. Ma grand-mère Cesira, elle, je l’ai connue. J’avais douze ans quand elle est morte, je l’appelais « mémé ». Pour moi, mémé était née comme ça, à côté de la gazinière, vêtue de noir, les mains dans la polenta. (…) Et puis, j’ai réalisé qu’avant de s’appeler mémé, ma grand-mère était Cesira, qu’elle avait été jeune et belle, qu’elle avait porté des couleurs, qu’on l’avait désirée et aimée. »
Par ces mots, Alain Ughetto nous embarque dans l’histoire de ses grand-parents par le biais d’un film d’animation. « Interdit aux chiens et aux italiens » commence au début du 20ème siècle, dans le Nord de l’Italie, à Ugheterra, la terre des Ughetto, le berceau de sa famille. La vie dans cette région étant devenue très difficile, les Ughetto rêvent de tout recommencer à l’étranger. Selon la légende, Luigi Ughetto traverse alors les Alpes et entame une nouvelle vie en France, changeant à jamais le destin de sa famille tant aimée. Alain Ughetto, son petit-fils, retrace leur histoire et insuffle la vie dans de la pâte à modeler et des bouts de cartons, qu’il façonne de ses mains.
Ayant hérité de son père et de son grand-père un goût prononcé pour le bricolage, Alain Ughetto a trouvé dans le cinéma d’animation une façon d’explorer l’intime, car il permet d’imaginer, de questionner et d’entrer en dialogue avec des personnes décédées, soit, de les faire revivre.
Conçu comme un dialogue fictif avec Cesira, sa grand-mère décédée, le réalisateur lui demande tout ce qu’il aurait aimé savoir. Avec la voix douce et chaleureuse d’Ariane Ascaride, la jeune Cesira lui raconte son histoire. Il en résulte un témoignage du vécu de ces générations de migrants italiens et un hommage à leur courage. Avec poésie, le film confère à ce récit personnel une dimension universelle.
Lorsqu’il a commencé son enquête il y a 9 ans, Alain Ughetto n’a trouvé aucune tombe au nom de ses grands-parents dans le cimetière natal. Où avaient-ils disparu ? Que s’était-il passé ? Les toits des maisons se sont effondrés sur leur passé de paysan, les arbres ont repoussé sur leur vie de charbonnier, ne laissant aucune trace des habitants et membres de sa famille.
C’est à partir du livre du sociologue Nuto Revelli, « Le monde des vaincus », qui compile des témoignages poignants de paysans et de paysannes du même âge que ses grands-parents et qui vivaient au même endroit, relatant la misère et la guerre qu’ils connurent, qu’Alain Ughetto a pu commencer à creuser son histoire.
Sur place, il a récolté des matériaux de leur quotidien : du charbon, du bois, des brocolis, des châtaignes, du sucre… qui, une fois atterris dans son atelier, se sont transformés en décor. Alain Ughetto a dès lors pu entamer la reconstruction d’un monde disparu afin de remonter le cours du temps pour lier mémoire intime et contexte historique.
Dans ce film en carton pâte, le travail manuel est au cœur de la narration. Cesira trouvait les mains de son mari très belles. Ces mêmes mains ont transmis leur savoir aux mains de son fils, qui les a, à son tour transmis à son fils, Alain Ughetto. C’est donc tout naturellement avec ses mains qu’il témoigne. La main est d’ailleurs devenue un personnage à part entière ; elle travaille, questionne et intervient.
L’histoire commence à la première personne pour glisser très vite vers le « nous ». Le réalisateur a voulu montrer ces gens qui ont construit des tunnels, des ponts, des routes et des barrages en France, mais qui sont toujours restés totalement invisibles. La réalité choquante et raciste du titre, « Interdit aux chiens et aux italiens », emprunté des panneaux qui ornaient les vitrines des établissements tant en Belgique qu’en France et ailleurs en Europe, nous questionne sur l’accueil que l’on fait aujourd’hui aux étrangers.
Œuvre émancipatrice, à portée universelle, ce long travail d’équipe et de mise en commun de savoirs, est avant tout un film d’amour. Un conte pour petits et grands.
Luz