Marion Cotillard, Hélène de Fougerolles, Zoëé Auclair
Il y a des films O.V.N.I, sortes d’électrons libres dans un monde cinématographique souvent enclin à enserrer de codes et de paramètres les récits pelliculés.
« Innocence » appartient à cette catégorie filmique qui semble tomber de nulle part et qui, en raison même de sa naturelle idiosyncrasie, surprend pendant que vous le voyez et continue à vous questionner après l’avoir vu.
De quoi parle « Innocence » ?
De la trajectoire qui mène des fillettes de l’enfance à l’aube de la puberté.
Chacune des 7 étapes qui scandent ce chemin est coloré de rubans de couleurs qui rappellent justement celles de l’arc-en-ciel au bout duquel, comme chacun le sait, se trouve un pot d’or.
Ces héroïnes vivent dans un lieu clos dans lequel elles arrivent « en cercueil ».
Image étrangement décapante par rapport aux naissances mythifiées par la cigogne, les choux ou les roses.
La dernière arrivée est prise en charge par la plus grande.
Les rapports qui se tissent entre elles sont à la fois tendres, délicatement charnels et cruels.
Leur éducation se limite à peu de choses : des cours de danses, de maintien dans lesquelles le corps et ses possibilités séductrices sont valorisées.
Leurs professeurs sont à la fois protecteurs et inaccessibles, soucieux avant tout d’un résultat : satisfaire la directrice qui, telle une efficace Madame Claude, vient une fois l’an à la pêche d’un élément qui se distinguerait des autres par une cambrure plus assurée ou un port de tête plus altier.
Tout doucement et presqu’à son insu, un étrange sentiment de trouble envahit le spectateur.
Une impression d’étrangeté faite de sensualité et de perversité comme celle qui se dégage d’un tableau de Balthus.
Impression initiée par le film sûrement mais aussi alimentée par les projections des spectateurs qui deviennent, malgré eux, des miroirs de ceux qui dans le film lui-même applaudissent les élèves amenées à célébrer leur nubilité lors de spectacles aussi aériens que lestés de malignité sexuelle.
Petit à petit on quitte le monde élaboré de modernes « Alice » au pays du saugrenu pour celui infiniment plus opaque du mystère de la puberté et de la fascination qu’elle engendre.
Le film est d’ailleurs inspiré d’une nouvelle de Wedekind, cet écrivain allemand qui a su capter dans son « Eveil du printemps » ce moment délicat et à potentialité tragique de la découverte par les jeunes filles de leur valeur sexuelle.
Ce film semble avoir un point commun avec « Saint Cyr » de Patricia Mazuy (France 2000) : celui de la nocivité des enfermements éducatifs, mais il s’en dégage nettement en raison du mode sur lequel il est décliné, mélange bizarre de naturalisme et de symbolisme.
Il possède une capacité d’oppression et de déliquescence absente de l’opus de Mazuy plus empreint de critique sociale et religieuse.
Si « Innocence » commence dans un lieu clos et sombre (le cercueil) il se termine en pleine lumière sous un jet d’eau, métaphore de cette rencontre avec l’autre masculin auquel tout le film semble avoir préparé les personnages.
A voir si vous aimez ce qui dérange, fascine ou s’adresse à autre chose qu’à la raison.
Hadzihaliovic, dans un entretien donné à la Libre Belgique, exprime cette idée que pour elle le cinéma est avant tout « une expérience sensorielle ».
Cette idée, elle l’a magnifiquement incarnée dans ce film qui vous capte, qui vous prend dans ses rets sans que vous l’ayez décidé ou accepté.
Bien entendu certains d’entre vous resteront hors jeu mais il serait dommage de ne même pas essayer de se laisser aller à entrer dans le jeu. (m.c.a)
(1) pour l’anecdote « people » Hadzihaliovic est la femme de Gaspard Noë et a été la monteuse des très controversés « Seul contre tous » et « Irréversible »