Deux regards - deux opinions

ILLEGAL (selon mca)

Olivier Masset-Depasse (Belgique 2010)

Anne Coesens, Christelle Cornil, Essé Lawson

95 min.
6 octobre 2010

Exprimer un ressenti hors des rails du convenu consensuel qui s’est emparé des journaux, des magazines et de la plupart des spectateurs depuis la projection d’ « Illégal » dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année relève presque du défi.

Celui de troubler une quasi automatique harmonie appréciative entourant le cinéma dit social lorsqu’il aborde des problèmes auxquels les pouvoirs publics n’apportent aucune solution.

Défi donc en raison de la sympathie éprouvée pour le metteur en scène et son égérie. Et de l’absence de doute quant à l’authenticité de l’humanisme qui anime leur démarche.

Mais l’humanisme suffit-il à crédibiliser un engagement ? Autrement dit de bonnes intentions font-elles des films utiles ?

« Illégal » est, plus qu’un film-objet, un film-concept

C’est-à-dire que sa narration est un prétexte à prendre position sur un sujet de société actuel et brûlant.

Ce n’est pas le prétexte qui dérange mais la mélodramatisation excessive qui le téléguide et finit par le transformer non pas en message (ce qui est acceptable) mais en propagande (ce qui agace) qui ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes.

Et prendre en tenailles exclusivement émotionnelles un spectateur qui, par paresse intellectuelle, souci de coller à une bienséance ambiante, parti pris idéologique, indifférence ou ne l’excluons pas d’office intérêt réel peut être tenté (manipulé ?) de sauter à pieds joints dans ce que le film propose : une descente portée par une caméra rageuse dans le monde de l’immigration et des sans-papiers en Belgique.

Dans un premier temps, débordé par la systématisation des choix de cadrage emprisonnants, la volonté de susciter l’empathie avec un personnage féminin surhéroisé - mère courage et travailleuse modèle - l’intelligence (ou la malignité) d’enfouir toute velléité manichéiste sous une reconstitution réaliste d’un centre de rétention où tous les détenteurs d’autorité ne sont pas "mauvais", on est pris dans les rets d’une impasse.

Impasse qui rend incapable, sans prendre le risque de se sentir une brute épaisse ou une égoïste insensible à la culpabilisation, de résister à l’invitation (l’injonction ?) d’adhérer à la détresse humaine d’une Russe qui, après 8 ans de clandestinité, se fait arrêter par la police.

Impasse qui aveugle et empêche d’élargir la conviction du réalisateur à un questionnement plus complexe et dont l’enjeu est pourtant tout aussi important que le drame présenté à l’écran.

Si la tolérance était totale vis-à-vis des immigrés qu’adviendrait-il des habitants des pays accueillants ?

Seraient-ils encore professionnellement et sécuritairement (voilà un adverbe qui ne suscite généralement pas de solides amitiés ...) protégés ou financièrement aptes à supporter le poids des effets d’un slogan emballant dans son énoncé mais périlleux dans son application : no border ?

« Illégal » est sans doute un film qui éveille les consciences à plus de respect et de dignité mais il réactive aussi les ombres du cinéma dit engagé.

Privilégier l’anecdote personnelle pour aborder un problème sociétal et jouer sur une corde à laquelle chacun, dès son plus jeune âge, est sensible : celle de l’ injustice individuelle.

Portée dans « Illegal » à un point d’incandescence par une actrice convaincante qui suscite immédiatement une identification positive chez le spectateur.

A moins que celui-ci, face à cet excès de « sainteté », n’éprouve un sentiment de malaise, de recul voire de méfiance vis-à-vis de cette recherche forcenée d’émotions.

Il aurait fallu peu de chose pour se laisser toucher par « Illégal ».

Un jeu que l’on aurait aimé moins visible (performant ?) de la part d’Anne Coesens (ce qui n’a pas été un frein à l’octroi du prix de l’interprétation féminine au Festival International du Film Francophone de Namur 2010) ?

Une approche moins fictionnelle et ciblée « cliché mère séparée de son fils » du propos ?

Un abandon d’un ton de maladroit pamphlet politique pour celui d’une neutralité documentaire moins provocante ou percutante mais aux effets sur le long terme plus efficaces ?

« Illégal » ne fait que renforcer un scepticisme face aux films qui suscitent d’aussi prompts et (quasi)unanimes bouleversements chez les spectateurs

A ces réactions épidermiques, souvent éphémères - qui durent ce que dure le temps d’une projection ou d’une apposition de signature sur une pétition - et trop simples pour refléter toute la complexité d’un problème, on peut préférer celles qui diffusent une indignation dont l’évidence repose sur une éloquence plus globale, plus subtile et retenue.

A côté de l’esprit « Welcome » de Philippe Lioret - traiter d’un thème par le bout de la lorgnette pour s’assurer la complicité ou l’assentiment du spectateur - il y a celui plus ample et distancié du "Visitor" de Thomas McCarthy ou d’ "Amreeka" de Chérien Dabis

Ce dernier regard correspondant mieux à un besoin de ne pas laisser le pathos affadir un propos dont le potentiel de douleur ne requiert aucun surlignage supplémentaire. (mca)