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HOLY MOTORS

Léos Carax (France 2012)

Eva Mendès, Edith Scob, Kylie Minogue, Denis Lavant, Michel Piccoli

115 min.
11 juillet 2012
HOLY MOTORS

Leo Carax ou le boson du cinéma français. Avec lui, c’est aussi sûr que surprenant, on est projeté dans l’énergie première du big bang.

Dans cette explosion créatrice où tout peut advenir. Le pire ou le meilleur, le banal et l’extrême, le probable et l’improbable. Le beau et l’immonde.

Son moto pourrait être celui de Georges Vercheval (*) lorsqu’il parlait de son art « on peut tout faire avec la photographie ».

Tout faire y compris tutoyer ce Dieu de la mythologie grecque, Kairos.

Kairos ou le moment opportun. Celui qui se découvre en même temps qu’il se produit.

On l’appelle aussi l’instant. L’instant du rendez-vous auquel il vaut mieux se rendre, pour en accepter les arcanes, les facettes et les remous, l’esprit disponible. Vide de tout besoin d’intrigue narrative, de balises auxquels se raccrocher, de personnages auxquels s’identifier ou s’opposer.

Vide pour mieux se remplir, se nourrir des onze rôles assumés par Denis Lavant et qui chacun, de la mendiante au tueur à gages, du banquier au terroriste, du clochard au père de famille donne corps et vie aux multiples visages de l’humain.

Kaléidoscope de portraits tantôt romantiques, tantôt féroces « Holy motors » est une fabuloserie (mélange de fables et de féérie) qui convoque autant l’histoire du cinéma (Bunuel, Cocteau, Franju …) qu’il en ajoute un segment. Hurlant d’une modernité qui flirte avec le jeu vidéo et ses vertiges du travestissement que connaissent tous ceux qui sur Second Life se sont inventés un ou des avatars. 

Modernité éclatée entre naïveté et rage, lyrisme et barbarie, poésie et ignominie. Innovation et emprunts autoréférentiels à une oeuvre lourde déjà de 4 longs métrages.

Entre fleurs et (d)égoûts, le spectateur est balancé sans vergogne par les caprices d’un cinéaste qui se soucie peu d’être suivi ou compris.

S’arrogeant tous les droits, il rappelle avec panache que l’essence même de la création est dictatoriale. Elle n’a à répondre qu’aux propres envies de celui qui l’engendre.

Si celui-ci est suivi dans son délire (**) par ses acteurs, dont une épatante Edith Scob en conductrice-psychopompe d’une superbe limousine, c’est tant mieux.

S’il l’est par les spectateurs c’est mieux encore.

Et s’il ne l’est pas, ce n’est pas grave. Parce que la liberté de celui qui regarde d’aimer ou de rejeter n’est que le reflet de celle du réalisateur dont l’audace, et il le sait, est aussi attractive que répulsive.

Il le sait et vraisemblablement il s’en fout. 

Sa tâche n’est pas de plaire mais d’inventer. De proposer une vision qui ne répète pas ce qui existe déjà mais qui essaie d’ouvrir une nouvelle façon de montrer. De faire voir.

Et là c’est mission réussie. Aussi réussie que lorsque Rodin renouvelant l’acte de sculpter (sans se colleter directement à la pierre) était considéré comme un mutant.

Extraterreste. Exactement ce qu’est le couple Carax-Lavant depuis leur première collaboration dans « Les amants du Pont-Neuf ». (mca)

(*) dont la superbe rétrospective vient de se terminer au Musée de la Photographie de Charleroi

(**) on pense aux écrivains Arthaud, Philip K. Dick, aux peintres Adolf Wölfli ou Aloïse Corbaz et aux chercheurs de sons comme Gérard Nicollet.