Gaspard Ulliel, Gong Li
Au Panthéon des serial killers, Hannibal est un conquérant né de l’imagination fertile et barbare de Thomas Harris.
Dès 1987 le cinéma s’est intéressé à cette créature hors norme. D’abord interprété par un atone Brian Cox dans une mise en scène flagada de Michael Mann « Manhunter », Hannibal est devenu le pervers le plus cultissime de la planète cannibale grâce à un Anthony Hopkins inspiré par sa rencontre avec Jonathan Demme et Jodie Foster dans « Le silence des agneaux ».
Depuis lors l’éclat du tueur en série n’a cessé de décroître. Déjà dans « Hannibal » de Ridley Scott, Anthony Hopkins perdait en charisme ce qu’il gagnait en emphase.
Avec « Hannibal rising » c’est carrément la Bérézina.
Sans doute parce qu’au lieu de jouer la carte de la suggestion, le réalisateur a privilégié celle de filmer les meurtres de son héros avec une esbroufe visuelle qui met mal à l’aise.
Comme s’il voulait établir une surenchère avec la sanguinolente complaisance avec laquelle les pires horreurs ont trouvé à s’exprimer dans des films comme « Saw », « Hostel » ou autre « Vendredi 13 », ces slahers ou thrillers articulés autour de l’angoisse induite par la méticulosité avec laquelle un sociopathe tue ses victimes.
Gaspard Ulliel rame. Perdu entre grimaces, acrobaties zygomatiques et regards-rouleau-compresseur, il contribue avec une vaillance, qui en devient comique tant elle est ostentatoire, à gommer tout intérêt pour son personnage. On n’a pas peur, on n’est pas intrigué, on est condamné à le regarder s’en prendre longuement à ses victimes. Et très vite le "show" tourne au pensum - il est vrai qu’entrer dans un cerveau malade est mission difficile. Il suffit de se rappeler la lourdeur avec laquelle la caméra explorait celui de Jean-Baptiste Grenouille dans "Le parfum" de Tom Tykwer. Il y a d’ailleurs certains points communs de jeu et d’expressions entre Ben Whishaw et Gaspard Ulliel qui donnent sens à la théorie de profil commun aux psycho (socio) pathes.
Sacrifiant à la mode de ce que les Anglo-Saxons appellent le prequel ou flash back sur les jeunes années d’un phénomène (« Batman begins » de Christopher Nolan), Harris et Webber se focalisent sur un épisode de l’adolescence d’Hannibal, fondateur à la fois de son goût pour la chair humaine et de son besoin insatiable de vengeance.
Ne reniant pas le Grand-Guignol et les coups de patte à la morale, « Hannibal rising » n’a pas la magie des opus précédents. Il semble essouflé, incapable de tenir en haleine, privé de cette tension particulière qui s’installe au sein de la relation fascination/répulsion que le spectateur éprouve pour le héros calamiteux. La seule chose qui l’éclaire est un reliquat de ce sens de la lumière vermeerienne, héritage du film antérieur de Webber "La jeune fille à la perle"
Il y a quelque chose d’un anti Siddharta dans cet Hannibal. En fonction de leurs rencontres, l’un apprend à concilier tous les contraires de la vie, l’autre à ne retenir comme chemin de vie que ce qui détruit et saccage. Ce qui, selon Freud, fait partie des désirs pulsionnels les plus primitifs et dans lesquels peut s’inscrire - quoique le film n’en parle pas - le futur métier d’Hannibal : psychiatre. (m.c.a)