Bof ...

FUNNY GAMES US

Michael Haneke (USA 2008 - distributeur : Cinéart)

Naomi Watts, Tim Roth, Michael Pitt, Deven Gearhart, Brady Corbet

111 min.
16 avril 2008
FUNNY GAMES US

Il y a des films qui sont des épreuves parce qu’ils passent le spectateur à la moulinette de contradictions diverses qui le coincent entre effroi et admiration.

Effroi pour le dépliement d’une situation ignominieuse. Et admiration pour le savoir faire cinématographique et la direction d’acteurs (tous bons) qui président à ce dépliement.

Déjà le titre est un casse-convictions. Les « games » sont à priori conçus pour s’amuser. Pourquoi dès lors le besoin d’insister, par un « funny » prioritaire et expansé par une absence d’article défini, sur une finalité qui ne fait de doute pour personne ?

Parce que justement Haneke veut nous piéger. Nous mettre face à notre routine paresseuse de consommateur d’images prêt à recevoir et à avaler les rendus d’écran les plus sadiques et les plus dérangeants.

Menant son récit à la cravache, il resserre l’étau du supportable pour tester une capacité d’acceptation. A être malmené, titillé dans nos secrets besoins de cruauté, réduit au statut de voyeur en boucle pouvant, à chaque reprise du même scénario, exciper de son irresponsabilité dans le déroulement d‘un carnage annoncé.

Carnage d’une famille bourgeoise, heureuse de passer quelques jours dans leur jolie maison près d’un lac et accueillant chez elle deux aliens, de blancs vêtus, apporteurs d’une mort lente et méthodiquement distribuée au fil d’une journée et d’une nuit de souffrances mentales, psychologiques et physiques.

L’irruption d’un élément perturbateur dans le flux de la normalité quotidienne est, chez Haneke, un cheval de Troie bien connu. Les lettres anonymes de « Caché », le masochisme dans « La pianiste », le mal-être de « 71 fragments d’une chronique du hasard », le meurtre dans « Benny’s video ».

Ici ce sera la folie. La folie pure et sans explication de jeunes gens qui répètent, sans se départir (ou si peu) d’une courtoisie qui en d’autres circonstances aurait pu être qualifiée d’exquise, un scénario digne des films d’horreurs les plus secouants.

Horreur le plus souvent maintenue hors champ et qui ne sera donné à voir qu’en reflet sur les visages effrayés des victimes ou de votre voisin de rangée.

On n’est pas dans « A clockwork orange » de Stanley Kubrick ou « The great ecstasy de Robert Carmichael » de Thomas Clay.

On est avec Haneke dans un registre froid, pervers, minéral qui n’est pas celui chaud, hystérique ou passionné d’un Tarentino par exemple.

Étayé par une approche très maîtrisée, presque millimétrée de ce qu’il vise à dénoncer, « Funny games US » est le remake d’un « Games » déjà décliné en 1997 avec Ulrich Mülhe (« Das leben der anderen ») dans le rôle de Tim Roth.

Une sorte de cinéma homéopathique dont le but serait de pointer le mal par le mal ou de réflexion épistémologique sur le rapport de pernicieuse complaisance qui s’établit entre ce qui se passe à l’écran et celui qui regarde ce même écran.

Comme les estafettes de Thanatos de ses « Funny Games » le font avec leurs victimes, Haneke joue avec les spectateurs.

Ces derniers ont un pouvoir que n’ont pas les personnages du film, entièrement assujettis au bon (ou mauvais) vouloir de leur créateur. Ils sont libres.

Libres d’être agacés par la leçon de morale donnée - ce que je montre je le dénonce -, d’être écœurés par les images de la démonstration. D’être en questionnement sur les influences négatives - ce que je montre incite - d’un tel déchaînement de véhémence sur des esprits fragiles ou tourmentés.

Libres aussi de quitter, quand bon leur semble, la salle de projection.

Par simple envie de ne pas se sentir manipulé. De ne pas devenir le voyeur consentant d’un jeu sans fin. Celui qui appuie, par psittacisme compulsif, sur les touches reward et play du magnétoscope.

Et si abandonner la projection pendant son déroulé était la façon de donner un sens et une forme au propos du réalisateur ?

Pour briser l’attirance-fascination pour la violence, il faut lui tourner le dos.

Une excellente interview du réalisateur dont l’intelligence décapante est un régal et une intéressante recension du film sont proposée dans le « Focus » du 11 avril (entretien mené par Louis Danvers) et dans le « Positif » du mois d’avril (article de Philippe Rouyer). (m.c.a)